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Hofesh Shechter : “From England with Love”

Formidablement interprétée par Shechter II, l’ensemble chorégraphique d’apprentis d’Hofesh Shechter, la pièce campe une Angleterre ambivalente et fracturée, qui conjugue traditions monarchiques et jeunesse égarée, Purcell et Punk, tiraillée, plus encore peut-être et mieux par le dilemme Shakespearien. To be or not To be ?

Il pleut. Évidemment me direz-vous, From England with Love est une déclaration d’amour au pays d’adoption d’Hofesh Schechter, l’Angleterre, où il vit depuis 2002. Mais comme dans Bons baisers de Russie, la formule est peut-être plus ironique qu’il n’y paraît. Et ce bruit de pluie amplifié par brouillard très british qui nimbe des collégiens en uniformes, renforce cette impression. Mais cette scène presque immobile où le groupe de huit danseurs et danseuses montent leur bras en couronne et les ouvrent à la seconde avec une légèreté désinvolte, quelques jolis pas de bourrée suivis de sauts de chats forment une sorte de trompe l’œil chorégraphique du déchaînement chorégraphique qui va suivre…

Comme pour mieux poser d’emblée ce pays si contradictoire, si paradoxal, où tout est compassé, voire un peu guindé, tout en pouvant être si relâché, violent, voire carrément vulgaire. Et grâce aux lumières géniales de Tom Visser, qui confèrent à cette pièce des allures d’opéra, et semblent même créer des mouvements de caméra, éloignant ou rapprochant les plans, soulignant le galbe d’un visage, la ligne d’une jambe, ou nous plongeant soudain dans des bas-fonds obscurs, grâce aussi au mélange musical particulièrement bien dosé, qui mêle à la musique grondante de Shechter lui-même, des chœurs d’enfants merveilleux et du rock déchirant, le chorégraphe travaille son récit comme pour le faire émerger d’un magma bouillonnant.

Car très vite la pluie tourne à l’orage, et la gestuelle issue de la danse académique se dissout, les corps emportés dans les courbures et cabrades d’un chaos sans fin. La scène est celle d’une apocalypse prête à tout engloutir, tandis que les huit interprètes de Shechter II sont pris d’une frénésie incoercible, que les voix du King’s College Choir de Cambridge distillent « Hear my prayer, O Lord » d’Henry Purcell, « If you love me » de Thomas Tallis ou « Abide with me » de William H. Monk, et la pompe d’Elgar. Mouvante, fluide, pulsée, suggestive, ou terriblement agressive, la gestuelle joue du dévergondage, de la débauche, et de la bienséance tel ce salut volé à la défunte Queen qui agite la main dignement.

Rythmée par des noirs plateau habilement ménagés par Tom Visser, la dramaturgie avance, de mouvements explosifs, d’étirements au bord de la rupture, en accalmies brusques, mêlant à ce portrait sans concession d’une Angleterre un peu désenchantée, des gestes directement issus de la technique gaga ou de danses folkloriques israéliennes, telle la Hora. Après tout pourquoi pas ? Hofesh avant d’être Anglais avait bien un background de danse israélienne qui sert toujours de toile de fond à ses chorégraphies d’aujourd’hui.

Ordonnés et perturbés, dangereux ou élégants, révoltés ou accablés, tel est le portrait d’une jeunesse qui semble un peu désabusée au quart de ce nouveau siècle, qui nous plonge dans des scènes sombres, parfois effarantes, parfois oniriques. Et si humour il y a, il doit être very very british car il n’apparaît pas vraiment. Les danseurs et danseuses de Shechter II sont exceptionnels d’’énergie, d’engagement, de versatilité dans leurs mouvements.

On regrettera juste que plus la pièce avance, plus Shechter semble recycler des fragments d’anciennes pièces, notamment Clowns… Mais l’ensemble reste somptueux, prenant, taillé dans l’émotion qui laisse ouvertes de nombreuses interprétations, avec cette fin tout interrogative où jaillit le chant des oiseaux.

Agnès Izrine

Le 6 janvier 2025, Théâtre de la Ville, Les Abbesses Paris, jusqu’au 18 janvier 2025.

Distribution :

Chorégraphie & musique Hofesh Shechter
Lumières Tom Visser
Costumes Hofesh Shechter
Direction des répétitions Chien-Ming Chang
Direction technique Oran O’Neill
Régie lumières Alan Valentine
Avec : Holly Brennan, Yun-chi Mai,
Eloy Cojal Mestre, Matthea Lára Pedersen,
Piers Sanders, Rowan Van Sen,
Gaetano Signorelli et Toon Theunissen
Musique additionnelle
Edward Elgar, Nimrod interprété par le Royal Philharmonic Orchestra • Courtesy of One Media Ltd.
Thomas Tallis, If Ye Love Me interprété par Kings College Choir, Cambridge, (P). 1994 Warner Classics, Warner Music UK, Ltd. © Oxford University Press.
Henry Purcell, Hear my prayer, O Lord, Z.15. Kings College Choir, Cambridge, (P). 1977 Parlophone Records LTD, a Warner Music Group Company.
William H. Monk, Abide with me (vv 2, 4 & 5 arrangées par Stephen Cleobury) interprété par le KingsCollege Choir, Cambridge/
Peter Stevens/Stephen Cleobury (P). 2009 Warner Classics, Warner Music UK Ltd. © 2011 Encore Publications.
Licensed by arrangement with the publishers

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