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"Bless this Mess" de Katerina Andreou et "Fabula" de Claire Croizé au NEXT Festival

Avec la création de la première pièce de groupe de Katerina Andreou et la reprise de Fabula de Claire Croizé, le Next Festival a imaginé une soirée de bruit et de fureur qui parle de notre monde actuel à Roubaix.

Dans ce monde, il y a ceux qui aiment l’ordre, et celles qui, comme Katerina Andreou, bénissent le désordre (Bless this mess). L’enjeu est loin d’être innocent. Et l’on ne sait que trop ce que veulent ceux qui s’arrogent la place de l’ordre devant le chaos. Face à la violence du monde, Andreou choisit d’ajouter du vacarme au vacarme, de l’explosif au tohu-bohu, le tout à un rythme infernal, épuisant, tandis que s’égrènent les notes d’instruments à cordes déglingués, puis que gronde un son assourdissant sur un rythme binaire post-punk à fond la caisse, réalisé par Katerina Andreou elle-même, avec Cristian Sotomayor.

Avec trois acolytes (Lily Brieu Nguyen, Baptiste Cazaux, Mélissa Guex), la chorégraphe grecque se lance dans une danse percutante, un quatuor de 55 minutes sans une seule de répit. C’est une sorte de précipité de notre époque, ou de miroir de nos émotions passées à la moulinette des réseaux sociaux, que nous livre ici Andreou de manière aussi condensée qu’intelligente. Avec un décor de praticables tout à fait excentrés, et des projecteurs latéraux rouges-orangés, elle construit une sorte de ring, de dancefloor, ou de salle de sport où se jouent des enjeux de survie.

La chorégraphie, loin d’être désordonnée, est un bijou de précision, méticuleuse même. Utilisant des techniques de musculation très actuelles et très populaires comme celles du cross fit, du workout et de la gym intense, elle joue sur la répétition et l’accumulation de mouvements à la Trisha Brown, pour créer une chorégraphie extrêmement physique, une sorte de folie de la dépense corporelle et collective, allant jusqu’aux cris, jusqu’à une gestuelle clownesque, dégingandée, avec des avant-bras qui s’élancent, des sauts survoltés, une sorte de danse de Saint-Guy désespérée. Coiffés de casquettes ou de perruques blondes, éructant dans le micro ou levant le bras en signe de succès comme de révolte, les danseuses et le danseur ne ménagent ni leurs efforts, ni leurs poumons.

Galerie photos Bless this Mess © Hélène Robert

Plus la pièce avance, plus le son, les cris et les gestes s’accumulent et se superposent, on entend même, sous la masse sonore tonitruante, quelques notes du Requiem de Mozart… mais dans la version Andreou, on ne finira pas au Paradis, mais dans un Enfer au présent, plus âpre, mais plus vivant, plus bouillant et plus brûlant que le calme Eden promis. Un train siffle dans la nuit, à moins que ce son strident ne soit des cris de baleines ou de fées, et transforment la confusion et le bruit du monde en une fête nocturne dans laquelle les interprètes, hors d’haleine, reprennent doucement leur souffle pour continuer ce spectacle… époustouflant. Bless this mess !

Dans la même soirée, mais à la Condition Publique, on pouvait voir Fabula de la chorégraphe franco-belge Claire Croizé avec Unusual Symptoms, compagnie en résidence au Théâtre de Brême, le groupe belge Zwerm, ainsi qu'avec la batteuse Karen Willems. Plus musical que chorégraphique, c’est aussi une réflexion sur l’état actuel du monde, qui prend appui sur l’album de Zwerm, Great Expectations, teinté de rock progressif et de psychédélisme. En tout cas, voilà bien du monde au plateau, avec cinq musiciens en demi-cercle, et sept danseurs et danseuses qui tournent autour d’une sorte de Totem, composé de câbles, de néons et de projecteurs, tendant vers les hauteurs en diagonale, comme une magnifique œuvre d’art, aussi plastique qu’utile.

Galerie photos Fabula © Jörg Landsberg

 La danse se coule dans une sorte de conte rétro-futuriste, qui évoque le Moyen-Âge dans ses rondes et ses sauts, ses tournoiements de toutes sortes, ses courses en cercle. Très dynamique et plutôt expressive, avec des interprètes qui gambadent, ou se laissent aller à des cavalcades, ou des frappes du pied, la gestuelle fait penser parfois à des tableaux de Brueghel, et parfois à des fresques antiques, des cortèges bras croisés devant ou derrière qui émergent et calment la débauche de sons et de gestes qui précédait. Il y a comme un écho lointain entre ces deux pièces qui utilise le déferlement d’énergie pour retourner la situation et crier à l’unisson à la fin : « All is not just misery /We are heavy machinery ».

Agnès Izrine

Vu le 26 novembre 2024 au Next Festival

En tournée
Bless this Mess : à L’Oiseau-Mouche, Roubaix, dans le cadre du NEXT Festival puis 
Les SUBS, Lyon du 17 au 21 décembre 2024 et au 
Théâtre Sévelin, Lausanne (Suisse) du 19 au 21 mars 2025
Fabula : à La Condition publique, Roubaix, dans le cadre du NEXT Festival 

Distributions 
Bless this Mess :
Conception et création Katerina Andreou.
Performance Katerina Andreou, Lily Brieu Nguyen, Baptiste Cazaux, Mélissa Guex.
Son Katerina Andreou avec Cristian Sotomayor.
Espace et lumières Yannick Fouassier.
Regard extérieur Costas Kekis.
Direction technique Thomas Roulleau Gallais.
Assistance costumes Laura Garnier

Fabula :
Créé avec et interprété par : Paulina Będkowska, Gabrio Gabrielli, Maria Pasadaki, Nora Ronge, Andor Rusu, Young-Won Song, Csenger K. Szab.
Chorégrapie : Claire Croizé.
Costumes : Anne-Catherine Kunz
Musique : Zwerm & Karen Willems
Lumières : Jan Maertens
Dramaturgie : Etienne Guilloteau
Collaboration chorégraphique : Leon Stille, Andy Zondag
Œil externe : Gregor Runge

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