« Dance Me - Musique de Leonard Cohen » par les Ballets Jazz Montréal
Le public du théâtre du Châtelet a réservé un accueil triomphal à l’hommage dansé rendu par Louis Robitaille, Éric Jean, Alexandra Damiani et les Ballets Jazz Montréal à Leonard Cohen (1934-2016). Ce spectacle imaginé en 2015, créé un an après la mort du poète, est à base de seize evergreens de l’auteur montréalais s’exprimant en anglais. Il a été subtilement chorégraphié par Andonis Foniadakis, Annabelle Lopez Ochoa et Ihsan Rustem.
Les chansons phares de Leonard Cohen, de So Long, Marianne (1967) à Hallelujah (1984), en passant par Suzanne (1967), Lover, Lover, Lover (1974), Dance Me to the End of Love (1984) et d’autres, plus récentes, comme It Seemed the Better Way (2016),ont donné naissance à des tableaux et à des intermèdes sonores et visuels, qui se suivant sans se ressembler. Et à des danses on ne peut plus variées, que ce soit par leur écriture ou par l’utilisation qui est faite dans chaque saynète de tout ou partie de la troupe. La douzaine de danseurs a fait montre de virtuosité, aussi bien dans les passages choraux qu’en couples ou en solitaire(s).
Difficile de distinguer les styles trois chorégraphes invités par le BJM, tant est efficace la fusion des expressions et parfait l’équilibre entre modern jazz, néoclassique et contemporain. Ainsi que nous l’avait déclaré en 2019 Louis Robitaille, en cinquante ans d’existence, la compagnie canadienne a eu le temps d’aborder et de développer « différentes disciplines artistiques : théâtrales, visuelles, multimédia ».Les costumes d’Anne-Marie Veevaete, les effets lumineux tranchants de Cédric Delorme-Bouchard et Simon Beetschen, les trouvailles vidéographiques de Gonzalo Soldi, Thomas Payette et Jeremy Fassio sont très au point. On pense au ralenti de la chute à l’horizontale d’une danseuse plus grande que nature projeté et répété en fond de scène ; au numéro cabaretier dalinien, pop ou op, façon Pilobolus ou Momix, avec dix paires de jambes sans tête dansant en chœur ; ainsi qu’aux gros plans de bouches écarlates sans corps autour. Les éléments dramaturgiques sont mesurés. Tout cela contribue à la réussite du projet.
Galerie photo © Marc Montplaisir
Chorégraphiquement parlant, on peut dire que tout est exécuté avec aisance, légèreté, élégance. Ce qui n’exclut ni la gravité ni les allusions à la mort, lesquelles sont renforcées par de récurrents contrejours. Du début (Here it is) à la fin (String Reprise/Treaty), tout est dansé avec fluidité, de façon dépouillée, sans effet de manche; la marche, les allers-retours, les entrées et sorties évoluent comme en apesanteur ; le travail au sol est sans anicroche ; les portés – dont certains absolument inédits – sont décompliqués ; rien d’hystérique, de dionysiaque, de chaotique : tout est serein. Ce qui ne veut pas dire lisse, comme ont pu le penser certains gardiens du temple du chanteur taciturne. Plusieurs moments chorégraphiques ont déclenché de vifs applaudissements au cours du déroulement. Les tubes les plus célèbres ont selon nous été mis en valeur par la danse et non platement illustrés. Musicalement, l’acoustique et la techno ont fait bon ménage. Le « guitare-voix des années 60 » a été enrichi par Leonard Cohen lui-même, dans la dernière partie de sa vie, de plages électroniques et même de citations comme cette ritournelle au violon dans Steer Your Way (2016) qui rappelle un des thèmes de Rhapsody in Blue.
Galerie photo © Thierry Dubois Cosmos Image
Deux des danseurs excellent aussi dans le chant. DaMond LeMonte Garner entame en direct, semble-t-il, a capella, dans le style gospel, Hallelujah. La blonde Astrid Dangeard donne une version retenue et émouvante, idéalement sonorisée au Châtelet,de So Long, Marianne, qui contraste avec la voix sépulcrale mais toujours juste de Leonard Cohen en fin de voyage. Récitatif qui, mixé par son fils Adam dans l’album posthume Thanks for the Dance, est devenu chant à part entière.
Nicolas Villodre
Vu le 27 septembre 2024 au Théâtre du Châtelet. Paris
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