Bien Fait ! 2024, nouvelle récolte, fruits de saison contrastée
Bien fait !, le retour, se pose en début de saison comme une constellation de personnalités vibrantes de notre PCF (paysage chorégraphique français), intégrant deux voisins proches. Cette édition nous parle de ce qui fait danse. Tout simplement, mais avec un ton quelque peu différent du fait indirect des événements.
Comme le vieux pêcher qu'une saison sans fruits renforce, et qui l'année suivante en porte des plus gros, le festival Bien fait ! programme, après l'interruption de la saison 2023 pour cause de situation financière dégradée, des pièces d'une importance plus remarquable. Bien Fait !, débute la saison de Micadanses, la structure de danse contemporaine de la ville de Paris, mais le petit frère de Faits d'Hiver, plus tourné vers des propositions expérimentales et fragiles, et entièrement financé par Micadanses, est plus soumis à la conjoncture. Celle de 2023 avait été désastreuse, Faits d'Hiver pour cause d'inflation avait creusé un déficit conséquent (80 000€) et des mesures drastiques s'étaient imposées.
« Bien fait ! est entièrement autoproduit, rappelle Christophe Martin, son directeur et programmateur, il n'a pas de place spécifique auprès des institutions c'est-à-dire qu'il n'a pas de subventionnement dédié. Cela signifie qu'en cas de problème, nous pouvons être amenés à le suspendre pendant une saison. Mais, Bien Fait ! relève d'une vraie demande, des artistes qui aiment ce rendez-vous où ils peuvent prendre des risques, du public qui apprécie ces propositions inusitées, et aussi de nous, à Micadanses, parce que c'est la seule manifestation où nous programmons sans contrainte, sinon celle du lieu puisque c'est aussi la seule manifestation qui se passe exclusivement chez nous. La DRAC Île de France et la ville de Paris nous ont aidés à passer le cap difficile, donc voilà. »
Bien Faits ! 2024, c'est donc cinq soirées présentant chacune deux spectacles, et se déroulant dans les locaux même de Micadanses. Mais cette édition dissimule une curiosité. On n'y note guère, comme pour les éditions précédentes, de ces jeunes pousses encore un peu vertes essayant des premiers fruits encore acides : Olivier Renouf, Erika Zueneli avec Laura Simi, Frédéric Werlé, Ashley Chen, concourent dans la catégorie « valeurs sûres », Thomas Chopin et Simon Tanguy, voire Léa Vinette ou Sarah Baltzinger, ne sont déjà plus des espoirs, pour avoir déjà confirmé malgré qu'elles soient encore jeunes. Claire Durand-Drouhin, pour moins reconnue qu’elle soit, est loin de débuter, tout comme Krassen Krastev, passé par Béjart et Linga, qui reste une valeur assurée, ou encore Rémi Esterle, tanguero, circassien, hip-hopeur, ancien d'Archaos, de Jacky Taffanel et de Catherine Berbessou – excusez du peu – qui, s'il n'a pas encore une notoriété assurée, ne doit guère être compté pour un novice.
En somme du beau monde qui ne déparerait pas dans Faits d'Hiver… « C'est vrai que je n'ai pas rencontré, depuis un an et demi, parmi les résidents de Micadances, de ces “coups de cœur” qui m'auraient donné envie d'aller plus loin dans l'accompagnement. En revanche, il y a des propositions de gens plus connus qui peinent à être vues» reconnaît le programmateur un rien contrit. Car il faut sans doute voir là une conséquence tardive de la crise sanitaire. Les jeunes chorégraphes –et plus généralement artistes –qui ne se sont pas lancés durant ces années difficiles ne nous ont pas manqués, puisque nous ne les avons pas connus. Leur absence est un creux que l'on mesure ici. En revanche, des artistes confirmés, mais moins assurés que d'autres, ont du mal, pour des raisons également liées à la pandémie, mais encore à la crise, à faire circuler leurs œuvres.
Et c'est ainsi que l'on retrouve Olivier Renouf, l'un des rares que l'on puisse rattacher au mouvement de "l'Arte povera", avec un solo inspiré du baron perché Italo Calvino (Perché, 11 septembre) ou la rencontre entre deux florentines qui se connaissent depuis leur jeunesse et n'ont jamais dansé ensemble quoi qu'ayant fait de belles carrières de notre côté chorégraphique des Alpes : Erika Zueneli et Laura Simi (Saraband, 11 septembre).
Mais encore, un interprète chorégraphe exceptionnel – cunninghamien de haut vol – comme Ashley Chen en duo avec un violoncelliste (Dégringolade ou l’Art de rester debout), tandis que le même soir (le 13 septembre), Fred Werlé annonce une fois encore qu'il raccroche – comme notre Aznavour de la danse contemporaine – et promet une jolie dérive de dérision et de tendresse ( My choreographic suitcase ou ma dernière révérence)… Pour les autres soirées, un spectacle peut appeler à en découvrir un autre, comme pour la dernière (20 septembre) où Sarah Baltzinger, en pleine reconnaissance européenne avec sa pièce Mégastructure ouvre sur le rare travail de plateau – il œuvre plutôt in situ – de Krassen Krastev.
Le danseur et chorégraphe Lausannois d’origine bulgare, joue ici avec des barres de pole dance (et a donc choisi de co-signer avec ses deux interprètes) pour On (Opus III). Le très repéré Je Voyais ça plus grand de Thomas Chopin et Simon Tanguy, peut introduire aux Duo Improbables de Claire Durand-Drouhin qui travaille beaucoup avec des handicapés (16 septembre). Quant au tapis roulant de Hug signé Rémi Esterle il peut conduire à Nox de Léa Vinette, la plus jeune du cru, mais pas la moins déconcertante (le 18 septembre).
Belle récolte, inattendue dans la forme, certes, mais d'autant plus précieuse.
Phlippe Verrièle
Bien Fait ! Du 11 au 20 septembre 2024.
Photo de Preview : Léa Vinette © Simon Van der Zande
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