"Derrière le Sud : Danses pour Manuel" par Sankofa Danzafro (Rafael Palacios)
Derrière le Sud : Danses pour Manuel a été créé à l’occasion du vingtième anniversaire de la mort de l’auteur colombien, Manuel Zapata Olivella. Une pièce à la fois narrative, mais qui pousse surtout la danse dans ses derniers retranchements physiques !
Après La ciudad de los otros [lire notre critique] dont l’énergie nous avait subjugué, la dernière création de Rafael Palacios pour Sankofa Danzafro, Derrière le Sud : Danses pour Manuel (Detras del Sur : Bailes para Manuel), est un hommage à l’œuvre la plus acclamée de l’écrivain colombien Manuel Zapata Olivella : Changó, el Gran Putas, dans laquelle Zapata combine son génie créatif et son travail de documentation méticuleux dans une saga qui raconte l’histoire des Afro-Colombiens. Derrière le Sud : Danses pour Manuel se décline en cinq actes, comme autant de chapitres du roman de Zapata.
La chorégraphie, et la dramaturgie, volontairement narratives, nous parle de ces hommes et de ces femmes réduits en esclavage, des Orishas ou dieux tutélaires Yoruba que sont Yemayá, Elegba et Changó, autour de thèmes essentiels comme la naissance, la mort, l’exil et son cortège de regrets.
Sur le plateau, ces scènes de la vie rêvée où se mêlent des racines africaines à la vitalité de la Colombie d’aujourd’hui donne lieu à une chorégraphie haute en couleur, d’une énergie si exceptionnelle que l’on se demande même comment ces interprètes peuvent tenir l’heure sur un rythme aussi impressionnant. Le découpage dramaturgique en tableaux, tout comme le thème où pointe une nostalgie, non seulement due au pays perdu, mais aussi d’un monde disparu, fait penser par moments au si célèbre Revelations de l’immense Alvin Ailey qui nous parle d’une vie d’ici et maintenant et d’un fantasme du passé.
Bien sûr, le vocabulaire chorégraphique n’est pas le même. Ne serait-ce que pour des questions d’époque (64 ans les séparent !) et de contexte esthétique comme socio-politique. Mais les thèmes qui s’appuient sur une réflexion sur l’esclavage, le racisme et la force de conviction pour les combattre reste identique, de même que la sensationnelle virtuosité des danseurs. Par contre, Rafael Palacion qui a étudié la danse africaine auprès de Germaine Acogny et d’Irène Tassembedo, tout en s’entraînant à Paris au ballet classique, au jazz et à la danse contemporaine a un langage tout à fait spécifique, qui s’appuie également sur ses danseurs qui pratiquent eux-mêmes des danses traditionnelles colombiennes.
Le résultat est une danse percussive, explosive, d’un dynamisme hallucinant, portant en elle la vigueur des cultures urbaines et la violence de Medellin, loin des clichés érotiques ou exotiques que suggèrent encore les corps noirs, et des moments très intimes, très symboliques, d’une délicatesse extrême, presque méditatifs dans leurs torsions et leurs ondulations. Rafael Palacios qui revendique « danser non pour être visible, mais pour se faire entendre » a plus que réussi son pari ce soir-là dans le Teatro Piccolo de l’Arsenale, le public lui ayant réservé une véritable ovation.
Agnès Izrine
Le 24 juillet 2024, Biennale de Venise, 18e édition Biennale Danza. Teatro Piccolo Arsenale.
Distribution
Direction chorégraphique : Rafael Palacios
Assistante chorégraphique : Yndira Perea Cuesta
Interprètes : Yndira Perea Cuesta, Piter Alexander Angulo Moreno, Paula Valentina Benavides Villarreal, Andrea Bonilla Ospina, Diego León de los Ríos Naranjo, Liliana Hurtado Hinestroza, Maryeris Mosquera Batista, Jhoan Andrés Mosquera Ibarguen, Sandra Catalina Mosquera Moreno, Sandra Vanesa Murillo Mosquera, María Elena Murillo Palacios, Estayler Osorio Fuentes, William Camilo Perlaza Micolta
Lumière et scénographie : Álvaro Tobón
Costumes : Diana Echandía
Consultant à la recherche : Carlos Correa
Composition musicale : Juan José Luna Coha, Harold Enrique Tenorio, Kevin Leandro Cortes
Musiciens : Juan José Luna Coha, Gregg Anderson Hudson Mitchell, Feliciano Blandón Salas
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