Daniel Abreu à la conquête de l’Europe
Originaire de Tenerife où il créa sa compagnie, Daniel Abreu travaille aujourd’hui à Madrid. La décision était sans doute juste, puisque ses pièces circulent de plus en plus en dehors de l’Espagne, de l’Europe de l’Est à l’Asie. Et on a finalement pu en découvrir deux à Paris.
Dans l’univers de cet ancien danseur formé en ballet et contemporain, nos désirs et nos rêves, conscients ou inconscients, rencontrent les traces d’animalité qui nous traversent pour créer une mythologie contemporaine.
Abreu établit des relations charnelles entre un interprète, son personnage et l’espace mental, dans des scénographies sobres mais iconographiquement très présentes, véritables miroirs de l’état intérieur des personnages. La narration, sans être évacuée, arrive sous forme d’invitation à rêver.
En novembre 2013, à la plateforme madrilène Ventana de la danza, Abreu créa sa dernière pièce de groupe, Silencio. Autour d’un canapé planté dans un terrain vague, les personnages remplissent le vide de l’attente par leurs souvenirs et phantasmes, en convoquant des champs d’énergie qui se créent et se défont.
De l’apesanteur au tellurique, de l’envol à la raideur totale, les états de corps tendent vers un ailleurs. On marche tel un animal, un dieu ou un objet et les costumes parlent de désœuvrement ou de mythes, d’envie d’être libre ou sauvage. Sans paroles ni mime, ils créent une communication à fleur de peau.
L’univers d’Abreu ne renie pas sa latinité, mais elle est distillée, aérée, décélérée. On l’a vu de nouveau dans Animal, avec plumes et paillettes, nudité et, bien sûr, animalité. La scène est autant un paysage originel qu’un cabaret et les présences s’inscrivent dans cet écrin avec l’intensité d’un chiaroscuro. Dommage que le travail sur les instincts et l’érotisme passe par des ficelles assez ostentatoires et que les belles présences ne créent pas plus de trouble.
Pour le découvrir comme interprète, il faut voir Cabeza (la tête), solo dont le titre renvoie à l’espace mental. Une fois de plus il dévoile ici à quel point les poses tiennent une part importante dans ses recherches, à quel point on peut voir en lui un plasticien du corps vivant. Au début, Abreu se cabre et dialogue avec son ombre, une silhouette qui semble posséder une âme propre.
D’un silence à l’autre, il lui faut traverser des épreuves, arpenter un monde de brouillard, affronter des défis, évoquer par la danse une aventure vécue, rêver tel Icare de s’envoler. Cabeza renvoie à des potentialités, déploie son énergie à se projeter dans l’avenir ou un autre monde, peut-être au bout de la latte flexible qu’il tient en équilibre sur son épaule ou au bout de la main, telle une perche ou baguette de sourcier. Abreu est un chorégraphe du désir, sous toutes ses formes.
Thomas Hahn
Cabeza : Théâtre des Abbesses, festival Chantiers d’Europe
Animal : Atelier de Paris, festival June Events,
Silencio : Teatro Cuerta Pared, Madrid, plateforme Ventana de la danza
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