« Hatched Ensemble » de Mamela Nyamza
Mamela Nyamza ouvre en beauté les Rencontres Chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, avec une pièce engagée et une magnifique scénographie.
Mamela Nyamza est une très talentueuse artiste sud-africaine dont nous avions déjà apprécié le très graphique SHIFT et l’impressionnant Isingqala, il y a une dizaine d’années. Depuis, il semblerait qu’elle n’ait pas été programmée souvent en France… C’est donc avec plaisir que nous l’avons retrouvée dans HATCHED ENSEMBLE, une reprise pour dix danseuses et danseurs , une chanteuse lyrique et un formidable musicien de son solo autobiographique percutant, HATCHED, créé en 2007 où elle décrivait, avec un humour grinçant et une sensibilité attachante, ses difficultés à assumer au quotidien ses différentes identités de mère, danseuse et lesbienne.
Dix-sept ans plus tard, et transmise à un grand groupe d’interprètes, les enjeux sont autres, la société a évolué, mais le but est resté le même : se libérer de toute assignation, qu’elle soit chorégraphique, genrée, ou sociétale. D’’où le titre. ‘To Hatch’ signifie éclore ou faire éclore. A la fois naître, et se libérer de sa coquille. D’où cette ouverture sur Le Cygne de Saint-Saens, et ses petites sculptures d’oiseaux qui se promènent dans les airs, manipulées par le groupe. On y retrouve bien sûr l’univers de la danse classique avec ces longs tutus blancs agrémentés… de pinces à linges que l’on ne distingue pas comme telles au départ, mais qui hérissent le bel ordonnancement de tulle.
Dans la version initiale, il s’agissait plutôt de détacher la mère-ménagère de l’image de la femme. En 2024, elles signifient plutôt le porte-à-faux de cette culture imposée par la colonisation blanche via le ballet du temps de l’Apartheid. Ce n’est pas pour rien que Daddy, I’ve Seen This Piece Six Times Before and I Still Don’t Know Why They’re Hurting Each Other la première pièce de Robyn Orlin vue en France, (qui fut d’ailleurs lauréate du Prix Jan-Fabre de l'œuvre la plus subversive aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis en 2000) était déjà une parodie de ballet avec des cygnes (mais issus du Lac des cygnes, non de La Mort du cygne !).
Donc, pointes au pied et torses nus les danseuses et danseurs, explorent le hiatus entre leurs corps et les conventions classiques avec une élégance subtile, et une lenteur propice à délier les imaginations. La gestuelle est presque rituelle, avec ses poses et ses pauses, ses gestes mesurés qui s’élèvent ou se cassent, se dévoient d’une accentuation de la tête ou d’un épaulement un peu bizarre, un bras qui se lève comme une aile et parfois comme un aileron. D’une certaine façon, il y a toujours des oiseaux dans l’air, et même, ça pourrait virer à la cocotte, quand les tutus remuent les derrières.
C’est alors qu’un percussionniste génial, Given « Azah » Mphago entre en jeu, bientôt suivi de la chanteuse Litho Nquai. Les « ballerines » déchaussent leurs pointes, et la scénographie – toujours exceptionnelle chez Nyamza – vire du blanc au rouge, tandis que la musique traditionnelle réveille les corps et les esprits. Substituant au corset de l’académisme des danses sud-africaines elles retrouvent peu à peu leur culture et leur liberté quand montent du plateau des chants traditionnels. Les interprètes se sont enfin débarrassés de leurs coquilles et sont prêts à partir vers une nouvelle aventure – la vie.
Agnès Izrine
Vu le 14 mai 2024 au Théâtre Public de Montreuil dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis.
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