« Art. 13 » de Phia Ménard
Cette allégorie politique libératrice en demi-teinte ouvre le cycle des Jardins et des Ruines de Phia Ménard. A cogiter.
Art. 13 de Phia Ménard s’ouvre sur un jardin à la française impeccable avec ses haies au cordeau, ses fleurs de lys ajourées dans un gazon rasé de près et une statue d’un Apollon devant une hache campe le décor tandis que s’affiche sur le socle « Art. XIII » puis « Les Nuisibles ». Alors émerge telle une taupe, une créature au magnifique masque de bestiole indéterminée, habillée des vêtements de l’enfance, flanquée d’une peluche qui a souffert. Elle se hisse lentement le long du piédestal, puis prenant de l’assurance s’ébat dans ce jardin paisible où l’ordre règne en maître absolu. Or, comme presque attendu, tout cela va basculer : la hache tombe. La créature s’en empare et après l’avoir ramassée et rendue à la statue qui, bien sûr, ne peut la saisir, s’en sert pour détruire le jardin et ruiner la statue. Ça tombe bien. Art. 13 fait partie d’une série de la chorégraphe intitulée : Le Jardin et Les ruines.
Galerie photo © Christophe Raynaud de Lage
La première pensée qui nous vient à l’esprit est qu’il s’agit d’une mise en pièce du pouvoir, représenté par cet éphèbe accompli aux muscles admirables, donc peut-être du patriarcat ou de la masculinité triomphante (ce qui revient à peu près au même) mais aussi d’une esthétique de la perfection des lignes très politique puisque intimement liée à l’avènement de la Monarchie absolue, comme en témoigneraient à la fois ces dessins au sol, et cette danse quasi baroque. Car la gestuelle dégingandée (mais extraordinairement virtuose signée Marion Blondeau) issue du classique et de la « Belle danse », mais qui distord toute figure connue, fait apparaître un corps qui ne serait plus unifié et certain – comme celui, si parfait, de la statue – mais improbable et désarticulé. Et c’est bien là que Phia Ménard organise la rencontre entre sa créature et l’Institution qui va venir légiférer sur ce que doit être le “ bon ” corps, le “ bon ” mouvement ou le “ bon sujet ”, comme un catalyseur du corps social et politique. Puisque c’est bien de Loi et de représentation de l’Autre qu’il s’agit.
Or, l’Article XIII de la Déclaration Universelle des Droits de l’Hommede1948 – et le moins respecté ! – est celui qui stipule la liberté totale de circulation et d’installation des personnes, à savoir : «1. Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. » «2. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays ».
Or la créature est toujours rattrapée par ce fameux article matérialisé par un socle et une statue qui finissent par l’enfermer. Une deuxième partie intitulée « Crépuscule » s’ouvre alors. Un deuxième piédestal, et les pieds d’une sculpture que l’on devine beaucoup plus imposante que la première (on ne voit que ses pieds tellement elle est gigantesque), est installée. Une autre (la même ?) bête fouisseuse au masque doré (très Grand Siècle, pour le coup) surgit du gazon. Reprend, peu ou prou les mêmes mouvements, est engloutie par le monument qu’elle arrive, in fine, à saper de l’intérieur. Elle en profite pour récupérer son lapin un peu plus abîmé…
Est-une réussite ? Cela signifie-t-il que peu importe les barrières, les frontières, les « Autres » les « nuisibles », si redoutés de certains, finiront toujours par passer ? Que l’Ordre est toujours ébranlé de l’intérieur, avant de se déliter totalement ?
Toujours est-il que s’ouvre alors une magnifique séquence hallucinée de traversée du miroir, avec nuages de fumée mauve et éclairages étincelants, d’un onirisme fascinant, où une Alice sous acide aurait réussi à renverser la donne, tandis que l’on entend The White Rabbit de Jefferson Airplane. Rêve ou réalité ? Utopie ou dystopie ? Et Art. 13nous parle-t-il d’un renouveau de l’Art qui arriverait à réenchanter un monde en ruines ou d’une circulation universelle des humains ? Comme dans le Pays des Merveilles d’Alice, la question reste de l’ordre de l’indécidable.
Agnès Izrine
Biennale de la Danse de Lyon, Théâtre des Célestins. Le 19 septembre 2023.
En tournée :
La Comédie de Valence, Centre dramatique national Drôme-Ardèche le 28/09, Actoral, Festival international des arts et des écritures contemporaines, en coréalisation avec et à La Criée Marseille, les 6 et 7/10, Le Volcan, Scène Nationale du Havre le 19/10, CIRCA Auch, Festival du Cirque Actuel du 25 au 27/10, Les Quinconces l’Espal, Scène nationale du Mans le 15 /11, Espace Malraux, Scène nationale Chambéry Savoie les 10 et 11/01/2024, MC93, maison de la culture de Seine-Saint-Denis, Bobigny du 23 au 28/01, La Filature, Scène nationale de Mulhouse le 6 /02, TANDEM, Scène nationale, Hippodrome de Douai les 20 et 21/02, Montpellier Danse, à l’Opéra Comédie le 28 /02, Le Lieu Unique, centre de culture contemporaine, Nantes du 7 au 9/03, TNB, Centre Européen Théâtral et Chorégraphique, Rennes du 13 au 16/03, Les 2 Scènes, scène nationale de Besançon le 20 et 21/03, La Comédie de Clermont-Ferrand scène nationale les 28 et 29/03, Agora, Pôle Nationale Cirque de Boulazac le 9/04, Espace Jéliote, Centre national de la Marionnette Oloron-Sainte-Marie le 12/04.
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