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« Cercle » par Olé Khamchanla

Petite pièce d'à peine une demi-heure, mais beau voyage. En resserrant son solo Cercle, le chorégraphe Olé Khamchanla livre, outre un véritable art poétique et un parcours esthétique, une réflexion sur la force et la douceur. 

Il apparaît, émergeant de l'ombre, marchant à l'extérieur du cercle lumineux du projecteur en douche. Au moins, voilà, dès l'entame, le titre explicité. Mais comme toute chose simple, celle-ci se révèle un peu plus compliquée… Pour le moment, il marche, rythme ses pas, tourne à la limite de l'ombre et de la lumière. Des bribes de mouvements le traversent, les mains surtout qui s'animent comme filtrant l'eau qui s'écoule, comme attrapant l'air, comme filant le temps. Sans être particulièrement versé dans les techniques chorégraphiques asiatiques – et de ce fait incapable d'en identifier précisément l'origine –  il apparaît clairement que ces patterns renvoient à des danses cambodgiennes, thaïlandaises , siamoises, javanaise… Précises dans la gestuelle mais, pour le spectateur qui n'a pas nourri son regard à ces traditions, nimbées d'exotisme.

Or, pour ce danseur et chorégraphe, nulle approximation ou rêverie d'ailleurs. Il y a plus de quarante ans, Olé Khamchanla vint du Laos en ces temps où les habitants s'en exilaient ; ces danses appartiennent à sa vie. Pour le moment, il marche toujours et le rythme des gestes accélère, les patterns se complexifient par accumulation. Il finit, au terme de plusieurs tours, par rejoindre le milieu du plateau et s'engage dans des mouvements où l'on reconnaît la lutte, voire la boxe en slow motion, puis la danse après qu'il a touché le sol et se soit redressé. Là encore les nuances se combinent et le hip-hop rencontre le contemporain. Défile ainsi toute une vie de danseur évoquée car ces effluves de gestes, surprises au fil d'un mouvement continu, répondent aux étapes et recherches de la carrière du chorégraphe. La bande son, flux électro d'où surgissent comme autant d'évocations, des bulles sonores de cités asiatiques, tisse un décor de voyage sur le noir du plateau, inscrivant le corps puissant dans un ailleurs intime.

Olé Khamchanla est un danseur singulier. Au début, il danse avec Karim Amghar, dans une logique qui procède du mouvement lyonnais du hip hop : les héritiers de la compagnie Traction Avant et le sillage de Fred Bendongué… On le retrouve aussi dans quelques démarches de chorégraphes contemporains. Mais en 2011, après près de 14 ans de collaboration avec la compagnie A'Corps, très marqué par le hip hop, Olé Khamchanla s'engage dans une voie singulière qui le ramène à ses racines chorégraphiques quand en 2006, il rapporte de son voyage au Laos et en Thaïlande, son premier solo, Kham, nourri des danses traditionnelles qu'il y a abordées. Ces apports, autant que ceux de la danse contemporaine, donnent à sa gestuelle autant qu'à sa démarche un ton et un sens particulier que l'on retrouvait dans Focus (2012), avec deux danseurs de Singapour, ou Négociation (2018) avec Pichet Klunchun (pièce bien moins connue que la « recette » appliquée par Jérôme Bel au même danseur, et pourtant, beaucoup plus intéressante)… Par de très fines touches, sans démonstrations excessives, sans prise de parole pour expliquer au « mal comprenant » la sophistication de la pensée, Olé Khamchanla,  juste avec la danse,  met au centre de la scène toute la richesse de ce parcours. Au centre, puisque tandis qu'il tournait et accumulait les strates de mouvements, le cercle de lumière qui s'était dissout dans la lumière générale du plateau s'est reformé et le danseur se retrouve en son foyer…

Originellement, à sa création en 2019, Cercle durait 50mn. Mais en 2022, le chorégraphe a resserré le propos, modéré les exigences techniques pour parvenir à cette version qui n'a rien de la réduction mais plutôt de la quintessence tant y transparaît la force et la précision d'une danse devenue très personnelle à force de dialogue entre les formes. Olé Khamchanla exprime clairement qu'il a bien trouvé sa danse – celle-là même que matérialise le cercle, figure géométrique essentielle de toute danse –  et qu'elle s'est inscrite dans son corps. Rien de fortuit qu'il la danse maintenant, à 45 ans, avec l'effort de l'âge mais aussi cette maîtrise nourrie des rencontres.

Cercle est ainsi, outre un voyage et un manifeste, une exploration de ce rapport de la force à la douceur, de l'énergie à la finesse, qui rappelle une histoire. En juillet 1906, le sculpteur Rodin reçoit un choc en découvrant le Ballet royal du Cambodge lors de son passage à Paris pour la représentation exceptionnelle au théâtre du Pré Catelan … Il suivra dans l'enthousiasme (en oubliant même d'emporter du papier !) les artistes jusqu'à Marseille d'où la troupe devait rembarquer et produisit un ensemble de dessins exceptionnels de finesse et de force ; la subtilité extrême sans mignardise…

Quelque chose que Cercle matérialise à sa façon.

Philippe  Verrièle

Vu le 21 juillet 2023, Théâtre Golovine dans le cadre du festival Avignon Off.

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