Hommage à Jacques Patarozzi
Jacques Patarozzi est décédé dimanche 22 janvier à l'âge de 75 ans et, comme le remarque avec un certain regret Frédéric Seguette, directeur du CDCN de Dijon qui dansa pour le chorégraphe de 1993 à 1997, « beaucoup de danseurs d'aujourd'hui risquent de ne pas mesurer ce que cela signifie »… A leur décharge, il faut reconnaître que le personnage était aussi discret que sa carrière fut riche et qu'il était aussi peu porté que possible sur l'autocélébration ! Pourtant, suivre la carrière de Jacques Patarozzi revient à partager les chemins et les aventures de ce que la danse française a vécu depuis les années 1960 à partir d'un point de vue remarquable : juste à côté des tendances dominantes.
Cela commence le 28 avril 1947 à Ajaccio. Jacques Patarozzi voit le jour dans une famille plutôt modeste qui s'installe assez rapidement dans la banlieue parisienne et le jeune homme commence, comme beaucoup de danseurs de sa génération, par apprendre le modern avec Gene Robinson, professeur également à l'Opéra de Paris. Manière de rappeler combien cette technique émancipa la danse d'alors, permettant les recherches de la danse contemporaine et à Jacques Patarozzi de rejoindre Joseph Russillo, figure importante de l'époque, et Felix Blaska qui était tenu alors pour un avant-gardiste.
En 1970, comme beaucoup, Jacques Patarozzi part pour New York et entre dans la compagnie de Paul Sanasardo. Il compose alors ses premières pièces (Oppression -1972 ; Suite pour cinq danseurs -1972 ; Châle -1973). C'est à cette occasion qu’il fait une rencontre déterminante. Soliste et invitée à la Paul Sanasardo Dance Company – elle y était déjà venue en 1960 – Pina Bausch y dansait en solo, en 1972 et, évoquant cette rencontre, lors des hommages qui suivirent le décès de la chorégraphe de Wuppertal, Jacques Patarozzi racontait avoir été frappé par le regard profond et pénétrant de cette petite femme si maigre et avoir été touché par la fluidité de sa gestuelle, ses contractions qui se fondaient dans le mouvement. « Une danse au plus proche de l'être humain, où l'on percevait une entité insaisissable ». L'expérience d'une danse inusitée, très différente de l'énergie de Graham ou Cunningham qu'à l'image de toute une génération, le jeune homme était venu chercher aux USA. Pina Bausch est alors une figure émergente de la danse allemande, chorégraphiant depuis 1968 et Hans Züllig (qui avait interprété le jeune homme à la création de La Table Verte en 1932) venait de prendre la direction de la Folkwang-Hochschule de Essen vient de lui confier le Folkwang-Tanzstudio de Essen. Cependant personne ne la connaît alors dans une France où les formes de la danse Allemande souffrent encore d'être perçues comme très « allemandes » ! Une sourde animosité pèse encore – à juste titre – contre l'héritage de l'Ausdrucktanz ou danse expressionniste. Françoise et Dominique Dupuy, proches pour leur part de Jean Weidt, en firent l'expérience difficile. La danse « à venir » ne peut, à l'époque, en France n'être qu'américaine. Or, avec Pina Bausch, Jacques Patarozzi découvre une autre forme qui le marque et qu'il va, très rapidement ajouter à son enseignement. Autre rencontre marquante, non sans lien avec la première, Dominique Mercy avec lequel Jacques Patarozzi va nouer une très longue amitié. En plus de toutes ces activités, il est directeur artistique de la First Chamber Dance Co.
En 1975, Jacques Patarozzi rentre en France, règle plusieurs pièces (Souvenir d'affection ; Forest ; Le Grenier) et assure la direction de l'école de danse de Silvia Monfort, et il faut souligner l'importance que prendra l'enseignement tout au long de sa carrière… L'année suivante il fonde sa première compagnie, La Main. On y retrouve Malou Airaudo, Dominique Mercy et Dana Shapiro. Cette compagnie participe en 1977, au concours de Bagnolet avec une pièce intitulée Trois, ne gagne pas de prix, mais marque par son climat et sa gestuelle intense. La compagnie tourne et passe plusieurs fois par Wuppertal. Elève de Patarozzi, Helena Pikon se joint à eux, mais précise « Je les ai juste accompagnés pour être la baby-sitter de Thusnelda, la fille de Dominique et Malou. Et puis, un jour, lors d'une répétition à laquelle j'assistais, Pina m'a demandé d'enfiler une robe. »[1] A quoi tient une carrière ! Jacques quant à lui danse à Wuppertal, une saison durant laquelle il participe (il est crédité sous le nom de Jacques Antoine Petarozzi !) à la création de Renate wandert aus (30 décembre 1977) avec tous les membres de la compagnie La Main. Comme il le disait avec une certaine ironie, « La Main est venue à Wuppertal, mais au retour, il n'y avait plus que le pouce ! » sans pour autant en tenir grief puisqu'il revient vers Pina Bausch entre 1980 et 1983 pour remplacer des danseurs y compris dans le Sacre.
Cette première « vie chorégraphique » de Jacques Patarozzi permet de comprendre comment ont pu s'établir ces relations si fortes entre la chorégraphe allemande et la danse française. Il y a d'abord ces danseurs installés sur place et qui reviennent plusieurs fois en France. Témoin Dominique Mercy, lequel racontait avoir rencontré Carolyn Carlson après avoir croisé Jacques Patarozzi à une terrasse tandis qu'il se rendait à un cours et en fut détourné pour rejoindre la Rotonde des Abonnés où officiait l'américaine. Il y eu aussi les cours durant lesquels le chorégraphe transmettait une technique beaucoup plus axée sur le charnel et la musicalité que ce qui se faisait alors, ce qui lui venait de ses contacts avec Pina Bausch et de sa tradition expressionniste.
Maïté Fossen qui dansa de 1982 à 1985 pour le chorégraphe raconte avoir été passionnée par un spectacle de la compagnie au Centre Culturel du Marais, et avoir rejoint les cours qu'il donnait dans un studio proche de son domicile, rue des Pyrénées… C'est durant l'un de ces cours qu'elle est sollicitée pour remplacer Dana Shapiro et intègre naturellement le groupe. En 1982, Jacques Patarozzi crée l'association Balmuz. On y retrouve Isabelle Dubouloz, Maïté Fossen ainsi que Bruno Dizien. Cette nouvelle équipe crée Chacun appelle (1983), pièce magistrale qui inaugure une période particulièrement féconde. Suivent Tunnels (1986), pièce pudique sur la mort d'un proche, ou Mansouet un homme nu (1987) qui ramène le chorégraphe vers sa Corse natale ce que va confirmer la création d'Amossa, des jours et des nuits (1990) composée sur des chants polyphoniques traditionnels corses. La pièce trouve un écho d'autant plus fort qu'un film (A Mossa, Jacques Malaterre, 1992)[2] rend compte sous la lumière crue et l'âpreté superbe des paysages, de la sensualité et de l'humanité de la gestuelle. Les curieux y remarqueront un très jeune homme qui fait là ses premières armes : Frédéric Seguette… « Je l'ai rencontré chez Jacky Taffanel où il venait très souvent donner des cours. Beaucoup de danseurs, à l'époque parlaient de Patarozzi. On connaissait ses liens avec Pina, mais il y avait surtout chez lui quelque chose de précis, de sérieux et de généreux qui plaisait beaucoup ». La musicalité de ses cours que le chorégraphe accompagne lui-même avec une percussion traduit une autre culture chorégraphique que celle qui domine alors. « Il y avait une rondeur unique dans ses cours. J'ai retrouvé cela plus tard chez Hans Züllig » précise encore Frédéric Seguette qui va participer à la vie de Balmuz (tout en collaborant avec Jérome Bel !) au moment où s'affirme la nouvelle énergie du chorégraphe. En 1993, Lahire et Judith rencontre un beau succès, le caractère baroque et plus visuel des pièces s'affirme dans De la poudre aux yeux (1995) mais les Naufrageurs (1997) ne rencontre plus le même succès et Jacques Patarozzi, un peu usé de sa lutte contre une réelle indifférence des institutions ou des grandes scènes de référence de la danse et la violence des critiques se lance dans une autre aventure.
En 1999, à Villebois-Lavalette, tout petit village (780 habitants) de Charente, Jacques Patarozzi crée Le Printemps de la danse, festival lové dans le superbe château du lieu et soutenu par une population qui participait à l'aventure, logeait les artistes et donc la fine fleur de la danse contemporaine. Mais après onze éditions, il faut arrêter… « C’était une aventure en milieu rural, mais je ne peux pas tout faire », se justifie alors le chorégraphe, déçu mais conscient que l'absence de soutien public limitait son action à Villebois, alors même qu'en 1999 il avait été nommé à la tête du théâtre de Cognac. « Diriger un théâtre, c’est énorme, expliquait-il. Il y a beaucoup de travail à Cognac, avec l’équipe, la ville, avec le public. Je ne peux pas faire cela et rester sur le terrain à Villebois. Je n’ai pas trouvé quelqu’un qui connaisse les grandes et les petites mains, la DRAC, les tutelles… Cela fait dix ans que je laboure ce terrain. Il aurait fallu quelqu’un avec une expérience, mais la structure n’a pas les moyens de le payer. » Il se consacrera donc au théâtre de Cognac qu'il dirigera jusqu'en 2014.
En 2004, il avait été ordonné moine zen, prenant le nom de Kan Sin, Cœur Constant. Son fils, Mathieu, est un grand (très grand) danseur que l'on remarque en particulier chez Thomas Lebrun. Sa fille, Lucie est scénographe, plasticienne et costumière et travaille beaucoup dans le domaine du spectacle vivant.
Philippe Verrièle
[1] « Helena, une vie aux côtés de Pina », Rosita Boisseau In le Monde Publié le 14 juin 2013
[2]A retrouver sur Numéridanse.
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