« Gradiva, celle qui marche » de Stéphanie Fuster
Stéphanie Fuster est une bailaora. Venue d’une solide formation sévillane auprès de grands maîtres du flamenco, cette artiste, aussi discrète que singulière, est dotée d’un cv plutôt impressionnant.
Danseuse sous la direction de chorégraphes de renom comme Israël Galvan, Juan Carlos Lérida ou Javier Latorre (pour n’en citer qu’une poignée), fondatrice de la Fabrica Flamenca à Toulouse, elle est également l’interprète d’un portrait composé pour elle par Aurélien Bory, Qu’est-ce que tu deviens ?, qu’elle tourne dans le monde entier. On attendait donc avec hâte et curiosité de voir son propre solo, nommé Gradiva, celle qui marche et qu’elle présentait ce mois-ci au Théâtre Monfort.
Elle entre en scène, sobrement vêtue, toute en noir hormis ses souliers blancs, pantalon de toréro et chemisier noué, et donne une mini conférence claire et concise en guise d’introduction à ce qui va suivre. Elle y raconte sa (re)découverte de Gradiva, (celle qui marche en avant en latin) sculpture grecque d’un bas-relief antique, et comment elle a été saisie par sa grâce et sa présence.
C’est à partir du récit de Wilhelm Jensen (1903) dont Freud livra une analyse, que se déclencha ensuite une large postérité auprès de l’univers surréaliste, elle fut peinte par Masson et Dali, Breton baptisa en 1937 sa galerie de son nom. Roland Barthes lui consacra un chapitre dans Les fragments d’un discours amoureux, elle inspira l’écrivain Alain Robbe-Grillet et le cinéaste Giorgio Albertazzi et, du côté de la danse, les chorégraphes Mossoux-Bonté ou Marceline Lartigue dans ses dernières recherches. Pour ne donner qu’un aperçu du tropisme que déclenche l’inspirante figure.
Le prologue posé, la danseuse traverse l’espace d’une ligne dansée comme une frise délicate, silhouette sombre à la gestuelle ciselée, faisant découvrir à son passage l’élégante scénographie. Très épurée, celle-ci concentre l’action sur un grand plateau de bois clair, une présence – presque un partenaire – à part entière, au centre du théâtre mis à nu.
Galerie photo © Aude Lemarchand
Stéphanie Fuster dégage un genre de rayonnement tranquille, concentrée sa présence est d’une grande densité. Elle fait absolument ce qu’elle veut du flamenco, – « la plus pulsionnelle, la plus érotique, la plus fantasmée des danses » dit-elle – qu’elle manie comme une deuxième langue et qu’elle aime suspendre dans le temps, ralentir ou encore découper, mélanger et réassembler comme pour un collage ou un rébus, jouant à brouiller codes et clichés. Pour autant, elle ne se détourne pas de la virtuosité, en témoignent les floreos complexes et les zapateados qu’elle peut porter à un rythme hypnotique. De cette danse elle explore la féminité, multiple et fantasmée, guidée par la figure de Gradiva.
À un moment elle rompt le baile et se laisse aller à des secousses physiques et surtout vocales irrépressibles, telle une diva désinhibée... Un revirement burlesque qui confirme clairement que Stéphanie Fuster possède un sacré abattage ! Seule en scène pendant une heure, elle capte le spectateur par son énergie et son éloquence avec une pièce très personnelle, minutieusement mise en scène par Fanny de Chaillé (que l’on pourra par ailleurs voir à Chaillot-Théâtre national de la danse fin novembre)
Juste avant Gradiva, se déroulait dans la Cabane du Monfort, un autre type de performance, Cosmos de Clément Dazin que l’on a pu découvrir avec le très réussi Bruits de couloir (Lire notre critique) et Ashtar Muallem, contorsionniste en quête de sens. Jouant de réflexions loufoques, la jeune femme évoque et questionne avec beaucoup de spontanéité toutes sortes de thèmes allant de l’introspection à l’actualité. Intimiste et chaleureux, un joli moment qui va trouver sa force avec le temps ! A suivre …
Marjolaine Zurfluh
Vu au Monfort le 6 octobre 2022
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