« Navy Blue » à Plein Phare !
« Navy Blue » d’Oona Doherty, un anti-ballet « à travers le temps et l’espace, le regret et le privilège, le déni et la danse ». A ne pas rater au festival Plein Phare le 26 novembre 2022.
Marianne Faithfull chantait « A working class hero is something to be ». Oona Doherty joue avec l’idée du ballet dans l’idée de working class dancer, habillant douze interprètes d’uniformes bleu-ouvrier, bleu-matelot, bleu comme les blue collar, comme les Anglais appellent les ouvriers pour les différencier des cols blancs. Mais, de tous les bleus, Doherty préfère le marine. Elle lance son Navy Blue sur le Concerto N°2 de Sergueï Rachmaninov, avec les douze danseurs répartis en deux rangées, dans des unissons qui tiennent sur un fil. « C’est probablement un ballet », disait-elle en mai alors qu’elle était en résidence de création au Centre National de la Danse. Un ballet qui se dilate, qui vole en éclats, dans des flaques de sang bleu.
Galerie photo : Sinje-Hasheider
Hagards, titubants, parfois comme aspirés par un vortex, les danseurs esquissent quelques positions de ballet, saluent leurs semblables et forment un groupe où l’on se salue et se respecte dans une timidité certaine. Mais la rébellion couve sous la surface et le poing serré se dresse vers le ciel. Dans un long texte dit en off par Doherty, la chorégraphe égrène ses doutes, sa révolte, les dates d’épisodes violents, sanglants et guerriers de l’histoire de l’humanité. Et aussi, le budget de son spectacle, un total de 291 656 €. « Et à quoi ça sert ? A qui ça s’adresse ? Quel effet ça va avoir ? » Alors qui pourra lui apporter des réponses, des certitudes ?
Galerie photo : Sinje-Hasheider
Le long discours (en anglais) est à lire (distribué avec traduction française) après le spectacle. Il dresse le portrait d’un monde en manque de repères, où l’on est saisi de vertiges, à l’instar des douze apôtres en bleu (« Est-ce que nous flottons ? Ou est-ce que nous tombons ? ») qui tombent sous des balles acoustiques, l’un après l’autre, comme dans une version accélérée de la série coréenne Squid Game. Mais ici, même la dernière ouvrière qui tremble et vacille est vouée au trépas et s’écroule à son tour. Il n’y a pas de vainqueur et le réel et de la street life qui nourrissait les premières créations si explosives de Doherty rôde toujours, mais de façon plus souterraine.
Galerie photo : Sinje-Hasheider
Une seule certitude : Ce spectacle n’aurait pas vu le jour sans la pandémie et les confinements. Car à l’heure où tout était à l’arrêt, où plus aucun spectacle ne pouvait avoir lieu, Doherty retourna aux origines, près de Belfast, retrouvant son studio de danse et même sa professeure de ballet d’antan. « Enfin je pouvais danser sans devoir produire quelque chose pour quelqu’un », dit-elle.
Et le ballet amena Rachmaninov dont le Concerto n° 2 avait déjà aidé le compositeur lui-même à surmonter un état dépressif. Chez Doherty le concerto devait à l’origine laisser sa place à la musique électronique. Et une composition de Jamie xx, star de l’électro britannique et compositeur de la musique de Tree of Codes de Wayne McGregor (créé au Ballet de l’Opéra de Paris en 2015) est bien présente. Mais en même temps le concerto de Rachmaninov se rend indispensable pour cette création.
C’est donc un ballet à la façon Doherty, comme, au fond, la reprise de son solo Lazarus par les danseurs du Ballet National de Marseille / (La) Horde en fut un, précurseur. Mais le ballet dans Navy Blue ne survit pas aux tirs de carabine qui achèvent les danseurs, progressivement plongés dans un liquide bleu ressemblant à une sorte de slime. Mais qu’on se rassure, il s’agit de simples projections…
En point d’orgue, Navy Blue se termine sur un solo survolté, furibond, fou… Et s’apaise sous la bienveillance des autres qui viennent apporter leur consolation et entourent le héros. Aussi le groupe crée la sensation de quitter le plateau par le haut, comme dans Hope Hunt or the Ascension into Lazarus, l’une des pièces qui ont fait la réputation d’Oona Doherty.
Comment traiter son blues, voilà donc le fond marin d’une Doherty en train de trouver une nouvelle voie dans la danse et la vie. Elle est aujourd’hui maman et dialogue avec le ballet, ce que l’on aurait cru impossibles il y a quelques années encore. De Navy Blue, il reste finalement l’anti-ballet du début et le solo final, beaucoup d’autres moments étant noyés dans le discours qui en dit long sur les états d’âme de la chorégraphe mais ne soutient pas les interprètes. Une dernière part de lest à larguer avant de naviguer librement ?
Thomas Hahn
Vu le 22 septembre 2022 Chaillot Théâtre National de la Danse, salle Firmin Gémier
Samedi 26 novembre à 20h30 Le Volcan, le Havre dans le cadre du Festival Plein Phare.
Le Phare CCN du Havre Normandie.
Direction artistique : Oona Doherty
Chorégraphie : Oona Doherty en collaboration avec les danseurs
Musique : Sergueï Rachmaninov, Concerto no 2 en ut mineur, Jamie xx
Vidéo, projections : Nadir Bouassria
Lumières, direction technique : John Gunning
Texte : Oona Doherty et Bush Moukarzel
Costumes : Lisa Marie Barry, Oona Doherty
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