Artdanthé : Danser et chanter les fins des mondes possibles
Marion Carriau & Madga Kachouche créent de la danse vocale éco-futuriste et Marie Desoubeaux chante l’Evolution en free-jazz.
« Après la fin du monde, il y a des mondes possibles, des fins du monde cachées. Après les fins possibles, il y a des mondes possibles. » Marion Carriau et Magda Kachouche annoncent la couleur dès la fin de leur duo réconciliateur, Chêne centenaire. Un duo chorégraphique, plastique, musical… Projet à la fois démesuré et modique. Démesuré puisque les conceptrices et interprètes se voient en « monstre préhistorique ou colosse futuriste », et plus encore : « Nous déclenchons des tempêtes de sable avec nos cheveux, créons le tonnerre avec nos voix, déployons des arcs-en-ciel avec nos mains. » Modique car le chêne peut vivre mille ans, ce qui reste de l’ordre de l’éphémère quand on pense à l’échelle d’écosystèmes, comme les deux chorégraphes-danseuses-chanteuses-plasticiennes.
Camping préhistorique
La « fable de science-fiction » commence en fond de scène, dans le mouvement lent et imperceptible d’un butô plus intemporel qu’au Japon, étiré vers un quasi-infini, celui d’un corps indéfinissable. Mais la feuille de salle est formelle : Il ne peut s’agir que de Carriau et Kachouche qui se confondent avec la forme abstraite d’un tipi atypique. Tipi fait de tiges de roseaux, croit-on, et qui se révèlent être en carbone ou matériau léger permettant de construire une petite tente. Mais ça prend du temps, en plein spectacle. Pas grave, les espaces-temps abordés le justifient largement. Par contre, les effets de surprise de la première partie sont épuisés. La plus belle des surprises était le chant, quasiment liturgique.
Sous cette tente, des tas d’objets et un semblant de vie préhistorique, tout comme les costumes et rites à la recherche de cette vie originelle, non anthropocentrique et de danses festives et « moins humaines ». Pas trop animales non plus, parfois entre Charleston et cartoon. Pas forcément écoféministe ce duo, plutôt éco-humaniste. Un jeu d’assemblage, comme la tente. Ici, des tiges en carbone. Là, des moments de danse imaginaire, des textes scandés tels les poèmes de Gherasim Luca. Mais il manque à l’édifice… une clé de voûte ? Un fondement ? Monter une tente est facile, mais les ambitions de Chêne centenaire vont tellement plus loin : « Nous y défendons l’attachement au monde, aux écosystèmes et aux espèces. »
Changements climatiques
Ce n’est qu’une part infime de l’humanité qui attend avec délice la fin du monde. Si ce n’est l’inconscient. Mais la fin du monde est une notion toute relative. Telle que nous l’entendons, elle s’est produite à plusieurs reprises dans l’histoire de la planète. C’est ce que nous rappelle Marie Desoubeaux avec Après tout,– un « opéra traversant les âges, joué par une fratrie universelle » – qui débute à la manière d’un spectacle-conférence autour des centaines de millions d’années de changements climatiques, de la première pluie sur terre à la mangrove primitive en passant par l’anoxie des océans.
Peu après, Après tout, se révèle être un trio dansé avec chants polyphoniques et solos au saxophone tendance free jazz (Camille Secheppet) sur fond de marbre rose aux reproductions de sédimentations et fossiles. La danse est calme, fluide et harmonieuse, avec incursions de bouleversements soudains et violents. Mais après chaque cataclysme, la vie reprend, histoire de nous rappeler le caractère éphémère et fragile de l’humanité, de nous-mêmes et de tout spectacle de danse. Car la question de la fin du monde est aussi celle de sa finalité, et de la finalité des spectacles qu’on y associe. Si on accepte l’idée que l’humanité existe sans finalité, en libre arbitre, alors la création artistique doit-elle se soumettre au principe d’une utilité didactique, ce qui bien souvent lui fait perdre en acuité ?
Thomas Hahn
24e festival Artdanthé, Vanves, le 22 mars 2022
Image de preview : "Après tout" - Marie Desoubeaux © Mireille Huguet
Chêne centenaire :
Conception et interprétation : Marion Carriau et Magda Kachouche
Création costumes et espace : Alexandra Bertaut avec Yannick Hugron et les précieux conseils en structure de Lionel Bousquet, architecte.
Lumière : Juliette Romens
Son : Nicolas Martz
Accompagnement vocal : Elise Chauvin, Leslie Bourdin
Après tout, :
Chorégraphe : Marie Desoubeaux
Interprètes et collaborateurs : Margaux Amoros, Pélagie Papillon et Camille Secheppet
Assistant mise en Scène : Arnaud Ménard
Lumières : Thomas Coux
Scénographie : Lucie Gautrain
Machinerie : Jonathan Goffé
Régie générale : Salomé Laloux-Bard
Costumes : Natacha Costechareire
Production et administration : Margot Guillerm
Coach vocal : Jean-Baptiste Veyret Logerias
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