« Mes "soudains" » de Carole Quettier
L'édition 2022 de Faits d'hiver nous a permis de découvrir Mes « soudains », la nouvelle création de Carole Quettier, laquelle s'était déjà fait remarquer en 2019 avec son premier solo, Midi sans paupière, qui avait été programmé par le festival Bien fait !
Un thème et quelques variations
Le titre de la pièce, Mes « soudains », un solo décliné au pluriel a effectivement de quoi surprendre ou en tout cas de quoi intriguer. S'agit-il ici d'envies ? De besoins impérieux ? De ruptures ? De caprices ? Autant d'hypothèses que nous ne nous hasarderons pas à vérifier. Plus prosaïquement, la danse et son support, autrement dit l'interprète, s'en chargeront (en principe) pour nous. En s'appuyant, le plus légèrement du monde, sur la musique de Mauricio Kagel, une musique savante, populaire, claire comme du Satie. Interprétée, par conséquent, par Alexandre Tharaud. Des morceaux réclamant par endroits un piano préparé.
Dans le premier thème musical, MM51, le métronome est un instrument à part entière. Il marque le tempo, donne le top départ. La danseuse, allongée sur le dos, s'éveille aux sons : à celui qui mesure le temps, à celui qui l'orne plaisamment. Aux sons et aux sens, au terme d'un bel endormissement. Préalablement à son grand lever offert au vu et au su de tous, la salle étant comble, Carole Quettier arque le dos, prête à toute éventualité. Celle-ci ne tarde à s’offrir à son bon plaisir – et aussi, il faut dire, au nôtre. Le travail au sol n'est pas vraiment laborieux, qui est constitué de gestes fluides, délicats, détachés de la contingence. En position assise, les mouvements se précisent, s'amplifient, rayonnent. Un bras s'élève tandis que la main du membre opposé barre le regard de l’interprète sans lui frotter les yeux. Au bout d'un temps, après un suspens ménagé par les accords pianistiques, brusquement résonne un rire sardonique – celui du pianiste, probablement, le rire, étant aussi partie prenante, et surprenante, de la partition.
Les Arcanes de Tharaud
La section Ragtime-Waltz de Rrrrrrr..., d'une clarté remarquable, mêle non pas jazz et java mais plutôt impressionnisme debussien et swing. Ce qui va bien à la danse prenant corps, tout aussi vive et élégante. La chorégraphie joue sur le contretemps, l'asymétrie, l'agilité. Le pas s'alanguit quelque peu. Suit celui du morceau au titre inattendu et ironique de Kagel : Unguis incarnatus est. Sur le disque de référence, se joint ponctuellement à Alexandre Tharaud Marc Marder armé de son violoncelle qui apporte une certaine gravité au divertissement. Les coups les plus bas sont produits par les talons d’un des deux musiciens, ajoutant des éléments brutistes ou, si l'on veut, "concrets" à la composition.
La gestuelle se fait volte, devient valse et donne le tournis. Les deux mains devant la bouche de l’interprète signalent une danse réduite au silence. Ils vous expliqueront, le cas échéant, comme les faux-médecins qui, au moins depuis Molière, prétendent vous régir, pourquoi votre fille est muette. Une série de trois équilibres, une paire de sauts, une marche sur demi-pointes, un corps torsadé sont enchaînés par la jeune femme avec aisance, avec facilité, avec grâce. Intrigante, la musique composée par Kagel, restituée par Tharaud, contient également un cri primal – en l'occurrence, final. Celui-ci retentit au moment qu'il faut et clôt la B.O.
Nicolas Villodre
Vu le 17 janvier 2022 à Micadanses dans le cadre du festival Faits d’hiver.
Dernière représentation : 19 janvier à 20h à micadanses
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