Et Bartabas crucifia le dieu-cheval
Et Bartabas crucifia le dieu-cheval
Il n’y a pas de noir si noir qu’il ne puisse pas se mettre à briller dès que Bartabas émerge de l’ombre. Quand il embarque Andrés Marín sur le chemin de « Golgota », l’âme du flamenco rencontre celle des mystères et des processions, pour une résurrection en galop.
Si Golgota n’est pas une messe en soi, nous sommes bel et bien conviés à une cérémonie. Les portes de la salle ouvertes, l’odeur de l’encens envahit le foyer du théâtre. Pendant l’entrée du public, un officiant s’affaire autour des cierges et se signe devant l’autel, dans chorégraphie drôlement saccadée. Il n’y aurait pas meilleur moment que la saison pascale pour ce voyage à travers l’imagerie de la Semana Santa espagnole.
Ce face à face entre Andrés Marín et l’héritier spirituel d’Artaud qu’est Bartabas se présente plus épuré encore que le duo précédent du fondateur du Théâtre Zingaro, avec Ko Murobushi, autour de l’univers de Lautréamont. Comme dans beaucoup de ses spectacles, Bartabas plonge dans une culture qui constitue un peuple, une civilisation. Pas pour en percer les mystères, mais pour mieux en révéler la charge poétique. Se frotter à l’Espagne, à la croisée des chemins entre Orient et Occident, entre catholicisme et culture tsigane, est pour lui un retour aux origines. « Zingaro » veut bien dire « tsigane », en espagnol. Si pour Golgota il préfère l’orthographie espagnole, c’est bien sûr pour rester dans les clous des titres à sept lettres, son rituel personnalisé. Mais avant tout il s’agit, et c’est une évidence, de rendre hommage à Séville.
Sable noir, chants lumineux
Le sable noir qui couvre le sol est autant porteur d’infini que la nuit profonde qui avale chaque sortie de scène. On pourrait se noyer dans l’un comme dans l’autre comme dans du coton, bercé par les chants sacrés composés par Tomás Luis de Victoria (1548-1611). Ces mélodies si lumineuses forment un filet sonore fragile et tendre, tissé au fils dorés de la voix du haute-contre Christophe Baska.
Et si l’on songe aux processions et aux bouffons, rendons hommage au comédien Pierre Estorges. On parle peu de lui, peut-être par pudeur. Il ne mesure qu’un mètre environ, mais un mètre bien en chair. Aussi nain soit-il, avec ses identités successives du bouffon au maître de cérémonie, il apporte un contrepoint essentiel pour rythmer la dramaturgie de l’office.
Un peintre fait cheval
Andrés Marín marche à genoux et se flagelle avec la queue de Zurbaran, cheval presque aussi noir et majestueux que Zingaro à son époque. Une allusion à la peinture ? Les tableaux de Zurbaran ont largement inspiré « Golgota ». A Séville, ses tableaux peints sur commande du clergé ornent les églises de la capitale du flamenco. Une cinquantaine de ses œuvres sont par ailleurs à voir au Bozart de Bruxelles jusqu’au 25 mai.
A dos de cheval, Bartabas sait courber son buste comme sur une caricature d’époque. Il évoque alors les représentations de bouffons du Moyen âge, quand rire, danser et chanter étaient aussi essentiels que prier. Et nous le savons bien, le diable se chausse de sabots. Sur son chemin de croix, Andrés Marín avance en haillons, sur deux pieds de chevaux, s’appuyant sur deux porteurs. Il se prosterne devant l’échelle qui mène aux cieux, et monte pour accéder à la crucifixion avec toute l’ardeur d’un comédien honoré par la tâche de représenter le Christ aux mystères.
Vers la naissance du flamenco
Bartabas défend depuis longtemps l’idée que ses chevaux sont de véritables danseurs. Ils passent une vraie formation pour la scène, observent une durée conséquente en matière d’échauffements avant chaque représentation et font régulièrement des exercices de respirations. Chez les humains ça s’appelle du yoga. Depuis qu’il a vu ça, Andrés Marín aussi s’est mis à faire de vrais échauffements, raconte Bartabas. Ça l’aide à danser son zapateado pieds nus, sur un trône ou les yeux dans les yeux avec un cheval.
Un seul problème : Au XVIe siècle ici évoqué, le flamenco n’existait pas encore. Aussi devient-il non pas une incarnation, mais un commentaire, opposant aux rites très codifiées de la religion catholique l’idée d’une force insoumise. Golgota nous parle de la naissance du flamenco, de la crucifixion des esprits libres qui renaissent peu après, à dos de cheval, martelant le sol aux talons andalous. Et il suffit à Marin d’en distiller l’essence, trois siècles après. On le sait, Marin n’est plus aujourd’hui à la pointe de l’évolution dans le flamenco, et ce n’est pas grâce à Golgota qu’il va ressusciter sous nos yeux. Mais pour célébrer ces reflets de rituels ancestraux, le fil tendu entre Aubervilliers et Séville permet de rapprocher des artistes qui n’attendaient que ça.
Thomas Hahn
Golgota de Bartabas chorégraphié et interprété avec Andrés Marín
musique : Motets pour voix seule de Tomás Luis de Victoria
chant (contre-ténor) : Christophe Baska
cornet : Adrien Mabire
luth : Marc Wolff
jeu : Pierre Estorges
chevaux : Horizonte, Le Tintoret, Soutine, Zurbarán l'âne Lautrec
14 avr. - 11 mai, 20:30 dimanche, 15:00 salle Renaud-Barrault - Théâtre du Rond Pointr
relâche les jeudis et les 20 avr. , 21 avr. , 28 avr. et 5 mai
http://www.theatredurondpoint.fr/saison/fiche_spectacle.cfm/153581-golgota.html
En Tournée
La Coursive, Scène Nationale La Rochelle du 22 au 27 mai 2014
Odyssud, Ville de Blagnac du 2 au 7 juin 2014
Festival des Nuits de Fourvière à la Maison de la danse à Lyon du 22 au 28 juin 2014
Théâtre de l’Archipel, Scène Nationale Perpignan dans le cadre du Festival Les Estivales du 3 au 5 juillet 2014
CNCDC Châteauvallon du 15 au 19 juillet 2014
Vaison Danses, Festival international de Danse Théâtre antique de Vaison-la-Romaine du 26 au 27 juillet 2014
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