« C’est comme ça ! » à Château-Thierry
La cité axonaise, désormais située dans les Hauts-de-France, était en fête. Elle s’apprêtait à célébrer à la nuit tombée l’enfant du pays, Jean de La Fontaine, qui avait atteint ses quatre-cents ans, notamment par un feu d’artifice sur les bords de la Marne. S’ouvrait pour nous le bal à l’Échangeur, établissement culturel trentenaire, avec, pour ce qui est de la danse, Yiiki d’Irène Tassembédo.
L’après-midi et la soirée étaient riches en événements artistiques de toute sorte : vernissage d’expositions d’art plastiques au Silo et au Palais des Rencontres, projections de films dans la grande salle de l’Échangeur, déambulation des formidables « Grandes personnes de Boromo » inaugurant le concept de « Quartier général » et, donc, avant un concert à la Biscuiterie, la pièce d’Irène Tassembédo interprétée par une troupe de danseurs provenant du Burkina Faso.
Yiiki, qui signifie « lève-toi », se veut « un cri du cœur » de la chorégraphe à la jeunesse de son pays, à celle du continent africain et à nous tous. Ce message d’espoir peut, par les temps qui courent, paraître idéaliste. Il rappelle l’invite messianique : « lève-toi et marche » ainsi que le mot d’ordre révolutionnaire : « Debout, les damnés de la terre ». La danse fait la part belle à une théâtralité que l'on ne voit plus si souvent sur les scènes occidentales. L’autrice ayant juxtaposé deux projets distincts, celui du Boléro proprement dit, utilisé comme finale à la pièce et celui de l’épopée du guerrier ashanti mythique Osei Tutu.
Peut-être la facture habituelle de la chorégraphe, extrêmement douée en matière chorale, n'a pu se développer dans toute sa dimension. La juxtaposition d’une B.O. des genres « fm, fusion, musiques du monde, jazz-rock, oriental » rythmant l’écoulement visuel, à base d’une petite vingtaine de saynètes, produit malgré tout une impression d'éparpillement. Cela en dépit des postures des hommes et femmes au corps splendide, malgré les parures et nonobstant la symphonie de couleurs les plus vives. Du thème ashanti, il ne reste que quelques attributs, certes symboliques : le sceptre, le tabouret d’or, le trône vide autour duquel se prosternent les danseurs dans la coda ravélienne. La non représentation du guerrier tendrait à signifier la perte de repères politiques de la génération actuelle africaine à laquelle la chorégraphe veut s’adresser.
Le rapport colonial entre la France et les Ashantis aurait sans doute pu être un peu plus développé à notre avis. Surtout quand on a en tête leur exhibition spectaculaire, en 1897, sur le cours du Midi de Lyon (l’actuel cours Verdun), où avait été reconstitué un village africain pour une exposition « ethnographique » dont Louis Lumière prit quatorze vues cinématographiques, parmi lesquelles : Danse du sabre, Repas des négrillons, École des négrillons, Danses de jeunes filles. Le film le plus sensationnel étant celui d’un guerrier se tournant vers la caméra comme pour menacer de son coutelas les spectateurs à venir.
Galerie photo © Oumou Traoré
Le Boléro de Ravel est littéralement et sciemment massacré : d’une part la musique, enregistrée, est diffusée à plein tube. De l’autre, pour se distinguer des nombreuses versions préexistantes – de Béjart, dont Irène Tassembédo est une disciple, au chorégraphe rwandais Wesley Ruzibiza qui l’a revisité en 2017, en passant par les appropriations musicales de John Serry, dès 1951, James Last, en 1975, Frank Zappa, en 1988 et, plus près de nous, en 2007 de la chanteuse béninoise Angélique Kidjo. Sciemment est le mot qui convient, s’agissant d’une scie musicale qui, à force, peut finir par taper sur les nerfs. Du coup, la chorégraphe a fait appel au sculpteur-soudeur Sahab Koanda (à qui l’on doit, peut-on penser, le siège plaqué or d’Osei Tutu) qui use d’une scie électrique (d’une meuleuse plus exactement) avec laquelle il produit des étincelles – un feu d’artifice concurrençant celui destiné à honorer le fabuleux fabuliste.
On pense alors aux spectacles bruts de décoffrage du Cirque Archaos. Sahab Koanda, a une triple actualité à l’Échangeur puisqu’il a été également chargé d’animer le bal d’après spectacle avec le percussionniste Seydou « Kanazoé » Diabaté (dans un concert intitulé Kokondo Zaz). Koanda est le César burkinabé, le Picasso d’Ouagadougou. Au cubiste qui s’inspira de la statuaire africaine, il rend la monnaie de sa pièce dans le cadre de l’exposition du Silo, constituée de masques fabriqués sur place à partir de matériaux de récupération. L’un d’eux, L’Œil de l’avenir, fait songer à l’un des minotaures du peintre malaguène. Un autre, ayant pour titre Confiance, porte accidentellement la griffe de Picasso, il est vrai incrustée dans une plaque de tôle de Xsara, C4 ou C3 glanée dans une casse automobile.
Nicolas Villodre
Vu le 18 septembre 2021 à Château-Thierry.
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