Festival C’est comme ça ! : L’Afrique et les 30 ans
L’Echangeur à Château-Thierry propose quasiment deux festivals, fêtant l’Afrique et les 30 ans du CDCN.
La nouvelle édition de C’est comme ça ! est prête à dégainer, et elle est double, réunissant en quelque sorte un festival de 2020 et un festival de 2021. A Château-Thierry, cette année, c’est comme ça, en effet. Autrement dit : 2020, c’est maintenant ! Car le volet africain devait avoir lieu en 2020, en bonne intelligence avec la manifestation Africa2020, parrainée par N’Goné Fall. « Nous avions promis un Quartier Général de la Saison Africa2020 et enfin, il est là », écrit Christophe Marquis, directeur de L’Echangeur – CDCN, en 2021. Africa2020, c’est comme les JO de Tokyo : Face au temps, c’est l’intention qui compte. Et la mémoire. 2020 c’est 2020, même en 21. Les deux premières semaines du festival C’est comme ça ! sont donc entièrement consacrées à Africa2020. Et puis, pendant la troisième, on fêtera les 30 ans de L’Echangeur !
« Notre engagement était de ne laisser aucun.e artiste de côté et de tout faire pour maintenir la programmation », dit Christophe Marquis à propos de son QG d’Africa2020. « Pari gagné ! » avec un foisonnement absolu de spectacles de danse, concerts, marionnettes, arts plastiques et visuels, dessin, cinéma... Et une marraine : Voilà Irène Tassembedo, et on se souvient qu’en 2014, Christophe Marquis avait réussi à réunir autour d’une table Irène Tassembedo, Germaine Acogny et Elsa Wolliaston, les trois grandes dames de la danse africaine, ce qui n’était jamais arrivé avant. Son intérêt pour l’Afrique est donc profond.
Et c’est justement avec Tassembedo que la danse entre en jeux. Yiiki est une création pour sept danseurs, un performeur et trois musiciens, avec comme point de départ l’histoire du premier roi des Ashanti. Un pouvoir rassembleur. Et un point de départ musical tout aussi rassembleur, le Boléro de Ravel. Yiiki signifie : Lève-toi ! La fin de ces deux semaines appartient à Faustin Linyekula avec Statue of Loss, une sorte de rite pour les fantassins congolais qui se sont battus, en 14-18, pour leur puissance coloniale, la Belgique. Dont un, prisonnier de guerre dans un camp allemand et dont on entend la voix qui chante. Par la danse, la musique et le chant, Statue of Loss leur érige un monument éphémère. Et a été créé, excusez du peu, au Panthéon, en juin dernier.
Entre les deux, on découvrira une jeune génération chorégraphique de l’Afrique subsaharienne, des concerts gratuits, les défilés des Grandes Personnes de Boromo, le solo An immigrant’s story de Wanjiru Kamuyu, une réflexion sur la rencontre des personnes de cultures diverses. Car Kamuyu est certes Kényane, mais aussi Africaine-Américaine. Et vit en France. La chorégraphe-interprète pose la question de la construction de soi quand l’identité culturelle ne coïncide plus avec l’environnement dans lequel on vit. En partant se sa propre histoire, elle arrive à une qualité universelle du vivre-ailleurs.
Une pensée pour l’Algérie, pensée qui se danse, avec L’Onde de Nacera Belaza, quintet inspiré de danses rituelles et musiques traditionnelles et de son pays d’origine, où selon Agnès Izrine, « Nacera Belaza nous ouvre les portes de sa nuit métaphysique, où le visible et l’invisible se confondent » [ lire notre critique]. C’est sur une autre rive de la Méditerranée que se situe l’action relatée dans OVTR de Gaëlle Bourges [lire notre critique].
A Athènes, il y a deux siècles, l’ambassadeur britannique, Lord Elgin, pille la sixième Cariatide du temple d’Erechtéion (entre tant d’autres choses), ici réunie à ses cinq sœurs, sous forme de danseuses et danseurs. Bourges recolle aussi les morceaux de l’histoire, surtout ceux qui ne sont connus que des spécialistes. Et si la chorégraphe prend soin de préciser que la Grèce pillée n’était pas une colonie britannique, la présence du spectacle dans un festival consacré à l’Afrique témoigne de la validité universelle de la question posée dans le titre, concernant les œuvres pillées en Afrique et ailleurs : OVTR – On va tout rendre.
Ensuite on passe à la troisième semaine de C’est comme ça !, et donc en 2021, et en plus, dans une nouvelle salle (en fait, la partie Africa2020 s’y déroule aussi), préparée pendant le confinement, la Salle A-B (pour Alain Buffard). C’est donc parti pour la partie « européenne » de C’est comme ça, et on y retrouve Gaëlle Bourges, cette fois avec Laura. Dans cette pièce, également consacrée à l’histoire de l’art, tout part du tableau Olympia d’Edouard Manet. Mais curieusement, Laura tisse un lien avec l’Afrique, à travers la femme noire – une certaine Laure – qui tient le bouquet de fleurs, derrière la femme blanche allongée (Victorine Meuret, modèle de Manet et elle-même artiste peintre). A partir de là, Laura revisite l’histoire de la peinture, du point de vue de la femme représentée comme modèle, dans des tableaux peints par des hommes.
L’Afrique a sa place quand L’Echangeur – CDCN fête ses 30 ans, avec Hassan El Geretly et les danses et musiques célébrant, Dans le cercle des hommes du Nil, l’héritage de la fameuse danse de bâtons. Si cette danse festive – qui rappelle les arts martiaux comme des combats plus dramatiques – se pratique encore, il ne reste pourtant qu’une seule école où elle est aujourd’hui enseignée. Il est donc rare de pouvoir y assister.
Si la nouvelle salle porte les initiales d’Alain Buffard – un film documentaire sur son solo Good Boy sera projeté – l’Echangeur rend également hommage à Mié Coquempot avec plusieurs spectacles et nomme son studio de danse d’après la chorégraphe décédée en pleine force créatrice (comme avant elle, Alain Buffard). Et si C’est comme ça présente la compagnie Grand Magasin (Pascale Murtin et François Hiffler) avec Comment Commencer (leur nouvel almanach consacré aux gestes initiaux), on pourrait retourner la question en « comment finir » car cette édition double de C’est comme ça se révèle être absolument inénarrable. Mais il faut bien terminer.
Thomas Hahn
C’est comme ça du 18 septembre au 9 octobre 2021
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