Juan Carmona : Le flamenco d’après J.C.
Lors des 6èmes Nuits Flamencas d’Aubagne, nous avons rencontré leur directeur artistique, le compositeur Juan Carmona. Entretien.
Danser Canal Historique : Vous êtes le plus andalou des Aubagnais, et l’un des plus célèbres. Quel est votre rapport à la ville et au sud de l’Espagne ?
Juan Carmona : Je vis à Aubagne, mais je descends d’une famille andalouse, ce qui veut dire que je suis guitariste flamenco depuis que j’étais dans le ventre de ma mère. C’est un vrai héritage culturel. J’ai commencé très tôt à collectionner les prix et suis allé vivre à Xérès, en Andalousie, près de Séville.
DCH : Quel a été votre parcours dans la musique flamenca ?
Juan Carmona :J’y ai eu la chance d’accompagner les plus grands chanteurs et danseurs et de jouer avec les plus grands guitaristes. A un moment donné je me suis fait remarquer par le directeur artistique des films de Carlos Saura qui a produit mon premier disque. A partir de là, j’ai joué partout et j’ai eu l’occasion d’écrire des partitions pour orchestre symphonique. Nous avons joué à Moscou, à l’Opéra de Sydney et ailleurs, avec les plus grands chefs d’orchestre. Et à chaque fois nous avons invité de grands danseurs.
DCH : Quel rôle joue la danse en flamenco, à vos yeux ?
Juan Carmona : Vous savez, il y a un ordre important. Le chant, la danse, la guitare. Le flamenco date de la fin du 18e siècle et à l’époque on écoutait le flamenco uniquement dans les tablaos, l’équivalent de nos cabarets. Dans les tablaos, il y a de la place pour environ 50 personnes qui viennent écouter la musique. Au départ, le rôle de la guitare était simplement d’accompagner la danse. Donc la danse reste fondamentale. Non seulement parce qu’elle amène l’expression du corps et du visage, mais aussi en raison de la percussion des pieds – le zapateado – et parfois des mains avec les castagnettes, même si celles-ci peuvent parfois tomber dans le folklorique.
DCH : Pour vous, musique et danse sont donc inséparables ?
Juan Carmona : Je considère qu’il est extrêmement important d’avoir à chaque fois de la danse dans mes spectacles. Même quand j’ai écrit des partitions pour orchestre symphonique, j’y ai quand même intégré la danse. La danse flamenca touche le public, quelle que soit la forme sous laquelle elle se présente. C’est pourquoi il est extrêmement important pour moi, en tant que musicien, de toujours « penser danse ». Cet été je serai en tournée aux USA, au Canada et au Mexique, et la danse sera toujours présente.
DCH : Dans le cas des spectacles réunissant des vedettes musicales et chorégraphiques, est-ce vous qui associez compositeurs et danseurs ?
Juan Carmona : Non, je choisis l’artiste principal, le plus souvent un compositeur ou un chorégraphe et lui laisse une totale liberté concernant ses choix. Certes, s’il me semblait qu’une association pourrait poser problème, je pourrais intervenir.
DCH : Pour votre concert, vous avez invité José Maya comme danseur. Comment avez-vous préparé la rencontre ? Avez-vous travaillé ensemble en amont pour accorder vos violons ? Définissez-vous des axes ?
Juan Carmona : Il y a toujours une part chorégraphiée et une part d’improvisation. J’ai envoyé la musique à Maya, avec quelques recommandations pour aborder ma musique, mais c’est toujours le danseur qui arrive avec sa propre chorégraphie.
DCH : Que représentent Les Nuits flamencas pour Aubagne ?
Juan Carmona : Nous sommes l’un des seuls, si ce n’est le seul festival en France où des musiciens qui ont l’habitude de se produire à travers le monde, du Carnegie Hall de New York au Royal Albert Hall de Londres, à Moscou etc., viennent jouer, chanter ou danser gratuitement. Habituellement nous avons environ 3.000 spectateurs et le public est debout, mais cette année, en raison de la pandémie, il a fallu limiter la jauge à 1.000 personnes, assises. D’habitude il y a des stages, des démonstrations de sevillanas, des food truck, des exposants, des expositions de photos etc. et Aubagne vit vraiment à l’heure andalouse. Le festival a pris une place importante. Il était impensable, avant, de voir des artistes d’une telle qualité à Aubagne. J’ai eu la chance de côtoyer tous ces gens et j’ai pu les amener ici. Par exemple, recevoir la troupe d’Antonio Gadès, c’est extrêmement rare. Par ailleurs, c’est Gadès qui a sorti le flamenco des tablaos et utilisé la scénographie, les lumières etc. Grâce à des gens comme lui, le flamenco est aujourd’hui présent dans le monde entier et j’ai eu la chance de me produire partout, de Hawaï à la Chine etc. Mais le flamenco est présent à Aubagne tout au long de l’année. Il y a des tablaos dans la ville, des master class sont organisés et j’enseigne le flamenco au conservatoire.
DCH : D’où vient le public des Nuits flamencas d’Aubagne ?
Juan Carmona : Aubagne est devenue une vraie capitale du flamenco, même à échelle internationale. Le public vient bien sûr de la région, mais aussi des quatre coins du pays. En France, les festivals de flamenco de cette qualité ne sont pas tellement nombreux. Il y a Nîmes, Mont-de-Marsan, La Villette à Paris, Chaillot… et après ?
DCH : Vous travaillez aussi sur un nouvel album ?
Juan Carmona : En effet, pendant le confinement, j’ai eu le temps de m’en occuper. Il s’agit d’un hommage à Zyriab, compositeur, musicien et inventeur de la musique arabo-andalouse qui vivait au IXe siècle. Il a aussi amené en Europe l’idée des conservatoires. Il est passé par énormément de pays, et j’ai invité des musiciens de tous ces pays, dont Ibrahim Maalouf et le Trio Joubran, qui ont participé à mon projet pour lequel j’ai pu gagner, entre autres, l’Unesco comme partenaire.
Propos recueillis par Thomas Hahn aux 6èmes Nuits flamencas d’Aubagne, le 2 juillet 2021
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