Rencontres chorégraphiques : « Passionnément » de Maxence Rey
Enfin sur scène, un trio autour du poème de Gherasim Luca aux effets thérapeutiques.
Passionnément de Ghérasim Luca est un poème aux abords du vertige : des lambeaux de paroles, des mots qui ne cessent de naître dans l’hésitation et la douleur, paroles en quête de consolation, laissant entrevoir les abymes qui ont conduit Luca à choisir de s’en aller prématurément, dénonçant un monde dans lequel « il n’y a plus de place pour les poètes ». Et pourtant, s’il lui avait été donné de voir l’interprétation de ses vers par Maxence Rey, Carlotta Sagna et Marie-Lise Naud, il aurait pu changer d’avis.
Etreinte, douceur et harmonie, qui dominent cette adaptation musicale et chorégraphique, ne sont pas des motifs ou qualités guidant la fameuse interprétation par le poète en personne. Pour Maxence Rey, le déchirement est au contraire le point de départ, pour arriver à un acte de réconciliation et de guérison, par une écoute mutuelle totale entre les interprètes, la musique jouée live par Nicolas Losson à la guitare électrique et les lumières, qui relèvent ici d’une vraie écriture scénique et dramaturgique. Aussi ce Passionnément est-il en fait un quintet.
« Ne dominez pas vos passions passives », dit le poète. Paradoxalement, cette pièce chorégraphique semble reposer sur un contrôle parfait du moindre geste, du moindre détail, alors qu’elle est portée par un système complexe de gestes qui se combinent de façon presque aléatoire. Tout commence par un premier pied, nu, qui entre dans le cercle lumineux dessiné au sol, avec une délicatesse infinie. Après un long apprivoisement mutuel, chaque geste, chaque regard, chaque pas et chaque toucher prolongent cette quête du sensible, de partage et d’orientation. Jusqu’au bout, jusqu’au chuchotement final : « Je t’aime passionnément. »
Si Luca semble affronter une insaisissable « terrible passion passionnée », le cercle de Rey s’adresse directement à la vie. Le « finir, finir encore » de Beckett s’inverse en une naissance perpétuelle de la parole, motif d’autant plus impératif que lors des représentations clôturant les Rencontres chorégraphiques internationales, Marie-Lise Naud était enceinte. Ensemble, les trois – non, les cinq (en incluant la musique et les lumières) – interprètes font battre leurs cœurs à l’unisson et accordent leur respiration pour livrer un profond message de consolation.
Et ce message tombe à pic. Car le projet de cette pièce a beau être né un an avant le premier confinement [lire notre récit], Passionnément semble conçu pour cette situation particulière, prenant en charge, par une immersion sensorielle, nos besoins et désirs, malmenés et exacerbés par les confinements successifs. Passionnément est bien plus qu’une chorégraphie : une séance de thérapie sensorielle qui s’apparente pour le spectateur à une pratique plutôt qu’à un spectacle. Pas à revoir, mais à revivre. Jusqu’à guérison définitive.
Thomas Hahn
Vu le 20 juin 2021 aux Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, Bobigny, MC 93
Conception, Chorégraphie : Maxence Rey
Texte : d’après Passionnément de Ghérasim Luca in Le Chant de la carpe, éditions José Corti
Interprétation : Marie-lise Naud, Maxence Rey, Carlotta Sagna
Création sonore et interprétation guitare électrique : Nicolas Losson
Création lumière : Cyril Leclerc
Régie son : Hervé Le Dorlot
Costumes : Sophie Hampe
Reprise en extérieur, le 7 juillet 2021 à la Maison du Parc Départemental Jean Moulin – Les Guilands à Bagnolet, dans le cadre des Extensions des Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
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