« Chaplin » de Mario Schröder par le Ballet de l’Opéra national du Rhin
Créé en 2010 par Mario Schröder, directeur du Ballet de Leipzig, Chaplinest entré il y a deux ans au répertoire du Ballet du Rhin qui le reprend cette année en ouverture de saison, à Strasbourg et à Mulhouse.
Premier ballet consacré à Charlot, Chaplin est aussi la première grande œuvre qu’a fait entrer Bruno Bouché au répertoire de l’Opéra du Rhin, lors de sa prise de fonction en 2018. Le nouveau directeur entendait ainsi donner un signal fort de sa ligne à venir : des productions à la fois ouvertes à tous et exigeantes, qui puissent - chacune à leur façon - renouveler le répertoire du ballet au XXIe siècle en s’inspirant volontiers de trames narratives empruntées à d’autres arts ou pensées, tout en incarnant « les préoccupations d’aujourd’hui ». Cerise sur le gâteau, ce Chaplin avait aussi la double vertu d’aborder un personnage universel, et d’établir un pont outre Rhin avec une Europe également annoncée comme un des axes forts de la programmation.
Pari gagné, puisque cette ouverture de saison et de mandat fut une réussite qui justifie amplement sa reprise en cette si particulière rentrée 2020.
A cet égard, il faut souligner qu’en inaugurant le 5 septembre une série de représentations à l’Opéra de Strasbourg, suivie la semaine prochaines de dates à la Filature de Mulhouse, le Ballet de l’Opéra du Rhin a été la première compagnie française de ballet à remettre les pieds sur une scène publique depuis le début de l’épidémie de Covid. Le Grand Est étant, à l’heure où nous écrivons ces lignes, classé en zone verte, nulle distanciation physique ,conformément aux récentes décisions de la ministre de la Culture Rosine Bachelot, n’était imposée dans la salle, ce qui rendait certainement l’équation plus aisée qu’en Ile-de-France. Le public était venu relativement nombreux, ce qui était en soi un signe encourageant surtout dans une région dont on se souvient qu’elle a payé un lourd tribu aux débuts de la pandémie.
En préambule du lever de rideau, Pasquale Nocera, chargé de développement au CCN, disait d’ailleurs combien les danseurs avaient su, durant les mois précédents, faire preuve de résistance et continuer à danser "malgré tout", quitte à répéter par groupes de cinq seulement des tableaux prévus pour des ensembles. Se livrant ensuite à une courte présentation du ballet à venir, il évoquait quelques-uns des épisodes de la vie de Charlie Chaplin utilisés par Mario Schröder dans son ballet.
Extraits - Répétition générale
Le rappel s’avérait fort utile pour qui voulait ensuite identifier clairement les épisodes successifs mis en scène par le chorégraphe. En effet, si l’on connaissait la dimension proprement dansante du personnage de vagabond créé par le comédien, on ne savait pas nécessairement que sa propre mère, avant de sombrer dans la maladie psychique, avait été danseuse. Ni que toute la famille, lui inclus, avait travaillé au London Music Hall, où Chaplin avait en quelque sorte fait ses débuts. Les étapes postérieures à cette « enfance de l’art » étaient plus immédiatement identifiables, à commencer par l’invention par l’acteur d’un Charlot nourri de ses propres souvenirs de misère et de débrouille dans l’Angleterre du début du siècle dernier.
Cette scène, l’une des plus belles de la soirée, illustrait parfaitement la démarche chorégraphique de Mario Schröder : quelques références fortes - les souliers, le chapeau, la canne -, un éclairage bleuté sophistiqué, une dramaturgie efficace scindant en deux le héros, l’homme d’une part et le comédien de l’autre, ce dernier étant interprété par une femme, enfin une gestuelle stylisée parfaitement calée sur une bande son expressive comprenant notamment des morceaux dus à Chaplin lui-même et des extraits musicaux judicieusement choisis, comme celui des Chairman Dances de John Adams.
D’autres moments aussi étaient particulièrement séduisants, tels la découverte d’Hollywood des années 20, symbolisé par un défilé de danseuses en robe rose et au visage masqué (!), l’évocation de la Crise de 29 et la Grande Dépression, avec de remarquables scènes d’ensemble, ou encore l’intelligent remake d’une des scènes cultes du Dictateur, avec un Hitler dansant dans un ballon transparent figurant le globe terrestre. Le tout, entre évocation et suggestion, relevait avec habileté le défi d’un "ballet narratif".
Dans cette reprise d’une œuvre répétée, on l’a dit, dans des conditions "acrobatiques", les danseurs du Ballet de l’Opéra du Rhin se sont montrés particulièrement convaincants. Le Chaplin de Ruben Julliard avait ce qu’il fallait de profondeur et de poésie, tandis que le Charlot de Monica Barbotte faisait preuve d’une tendre loufoquerie, sans trop accentuer les tics de son personnage.
Mention spéciale au corps de ballet, dont les ensembles rythmés et précis témoignaient du bonheur retrouvé de danser, ainsi que d’un bel esprit de troupe. Et ce n’est pas le moindre de leurs mérites que de nous avoir ainsi donné, à l’issue de la représentation, l’espoir solide que virus ou pas, l’essentiel - c’est à dire la générosité, le partage et l’émotion - allait recommencer comme avant.
Isabelle Calabre
Vu le 5 septembre 2020 à l’Opéra national de Strasbourg
Les 16 et 17 septembre 2020 à la Filature de Mulhouse
Du 4 au 11 novembre 2020 à la Maison de la Danse de Lyon
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