Vincent Dupont et les « Cinq apparitions successives » - Interview
Un entretien exclusif au sujet de la nouvelle pièce de Vincent Dupont, présentée au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains.
Dans Cinq apparitions successives (version augmentée), Vincent Dupont met en scène notre désir d’apparitions et interroge nos attentes par rapport à l’autre et au spectacle. Une succession de présences et d’actions chorégraphiques aux limites de la présence. Depuis septembre 2019, le chorégraphe est artiste associé au CDA d’Enghiens-les-Bains.
Danser Canal Historique : Quelles sont les sources d’inspiration de votre nouvelle création ?
Vincent Dupont : Ce projet est parti de workshops que j’ai donné ces dernières années, par exemple à Montpellier ou à l’Atelier de Paris. Avec les danseurs que j’y rencontrais, j’ai commencé à travailler autour du rideau qui cache les miroirs des studios, sur le thème de l’apparition du corps. Un corps qui sort du rideau… Ensuite j’ai réfléchi à une sorte de proscenium où il y aurait comme un appel de ce corps qui permettrait une sorte de rencontre avec le public. Et le miroir renvoyait vers nous des questionnements sur le spectacle : Qu’est-ce que nous voulons voir apparaître ? Quel corps voulons-nous voir ? Mais avec le recul, je me rends compte qu’il y a aussi quelque chose de l’ordre de l’assistance et d’une sorte de consolation dans ce projet. Là aussi la question est celle de nos attentes par rapport à un spectacle.
DCH : Le mouvement dansé apparaît et disparaît en même temps. Tout le temps. Mais vous faites durer le moment de l’apparition.
Vincent Dupont : Je suis bien sûr intéressé par le mouvement du corps, c’est lui qui me porte. Mais cela va au-delà. Quand le mouvement est chargé, incarné et donc désiré, il fait apparaître autre chose, une résonance du mouvement. C’est ce que je cherche, et même de créer un mouvement qui s’imprime dans le corps du spectateur. Il y a chez moi des choses très précises qui se sont imprimées à partir de spectacles que j’ai vus au fil des années : des mouvements, des états, des sensations etc. sont enregistrés en moi de façon définitive. C’est mon utopie personnelle et c’est une chose que le cinéma ne produit pas chez le spectateur. Je cherche donc à mettre les danseurs dans des états suffisamment forts pour que le mouvement ne soit plus l’enjeu principal et qu’il y ait autre chose qui se joue. C’est comme dans la poésie sonore qui est un art du non-nommé et que j’adore pour cela. Comme la danse, elle tente de se rapprocher le plus possible de son questionnement, mais sans nommer concrètement les choses. C’est pourquoi la danse a la capacité à être universelle. En fait je crois que je fais de la danse parce que je veux accéder à cette sphère universelle qui est ouverte à tout le monde, sans détours cérébraux.
DCH : Justement, quand j’ai cherché ce qui lierait cette création à vos pièces précédentes, j’ai trouvé une fil rouge évident, à savoir le son et le rapport à la voix. Quel rôle jouent-ils dans Cinq apparitions successives ?
Vincent Dupont : Au début, on entend un texte de Christophe Tarkos, intitulé Je gonfle, dans lequel un homme parle d’une sorte de voile qu’il veut à la fois repousser et attirer vers lui. Il l’inspire et l’expire en parlant de notre besoin partagé de voir quelque chose apparaître. C’est un enregistrement inédit. J’avais déjà travaillé avec cet auteur pour mon tout premier spectacle, Jachères improvisations. Mais à part ce prologue, tout le son du spectacle est produit en direct par les danseurs. Aucun son n’est enregistré à l’avance. Ils gèrent ainsi toutes les résonances de l’espace. C’est important pour eux et pour le public, car d’une certaine manière l’espace que les danseurs respirent devient ainsi audible pour tout le monde.
DCH : En effet, le travail sur l’espace est une autre constante dans vos mises en scène. Ici vous créez un espace assez vaste, mais vous l’utilisez pour créer des sensations intimistes.
Vincent Dupont : Idéalement, ce serait ça. Il est vrai que je travaille de plus en plus sur l’espace dans lequel le mouvement est produit. Je suis persuadé qu’un mouvement dans un espace vide ne crée pas les mêmes résonances que dans un espace où il y a par exemple une perspective ou des objets posés par terre. Dans Cinq apparitions successives, l’espace est limité par un rideau au lointain qui fait sept mètres de large et deux mètres et demi de haut, un rideau plissé, entre deux murs accentués qui créent une fausse profondeur. Ça crée une déformation de l’espace et on ne sait plus à quelle profondeur le rideau se trouve réellement. Il en va autrement pour le proscenium qui est un endroit théâtral historique et presque archaïque. Le danseur qu’on y voit pourrait être issu du public. Par la proximité, on comprend la charge mise en jeu et portée par les corps des interprètes pour que l’apparition ait lieu. On sent le désir de voir quelque chose apparaître derrière ce rideau. Il y a des désirs différents et des corps différents. D’où la succession des cinq tableaux.
DCH : Le titre mentionne version augmentée. Cela suggère l’existence d’une version de base et nous renvoie vers le fait qu’au Centre des Arts d’Enghien-les-Bains, où vous êtes en résidence, les nouvelles technologies sont au centre des recherches.
Vincent Dupont : Lors d’un colloque sur les images de synthèse j’ai rencontré Elisabeth Caravella, une réalisatrice qui a étudié au Fresnoy. Mes échanges avec elle m’ont inspiré une vision pour les deux derniers tableaux du spectacle, où nous projetons des images créées par Caravella sur le rideau. Ce sont des images d’un autre rideau. Elles donnent l’impression que le rideau réel se met en mouvement ou qu’il y a une sphère invisible qui creuse le rideau. Nous créons aussi un tomber de rideau au ralenti, suivi de l’illusion d’un rideau qui se relève, mais sens dessus-dessous. Si cela m’intéresse, c’est aussi parce que j’ai travaillé comme photographe au début de ma carrière d‘artiste. Par ailleurs, les murs créent ici comme une focale et l’idée du miroir placé au fond, comme dans un studio de danse ou un appareil photo, reste présente dans le spectacle.
DCH : Quels autres projets sont prévus dans le cadre de votre travail d’artiste associé au CDA d’Enghie-les-Bains ?
Vincent Dupont : Je devrais probablement reprendre un des mes spectacles, L’étang suspendu, en juin, sur le lac d’Enghien, sous le titre Le lac suspendu. C’est un spectacle pour l’extérieur créé en 2012, une marche sur l’eau pour une danseuse qui traverse un plan d’eau. Nous sommes en train d’étudier ce projet ambitieux car techniquement assez compliqué. Et le Lac d’Enghien est bien plus grand que les plans d’eau que nous avons investis jusqu’ici. Je vais aussi animer des ateliers auprès de publics différents et une nouvelle création est prévue pour le printemps 2021. Il s’agit d’un projet très ambitieux parce qu’il nécessite des casques de réalité virtuelle qu’on peut facilement enlever et remettre à sa guise, comme des lorgnettes. Une telle technologie n’existe pas encore, mais elle devrait être disponible dans un an ou un peu plus. Le but est de permettre au public de suivre un spectacle à la fois sur scène et en réalité virtuelle.
Propos recueillis par Thomas Hahn
Cinq Apparitions successives - version augmentée de Vincent Dupont
Le 24 janvier 2019 au Centre des Arts, Enghien-les-Bains
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