« Cion : Le Requiem du Boléro de Ravel » de Gregory Maqoma
Multiculturel et pluri-artistique, le Festival de Marseille a lancé son édition 2019 avec un spectacle fort du Sud-Africain Gregory Maqoma qui revisite, dans « Cion », le Boléro de Ravel.
D’abord un sanglot, qui bientôt se transforme en cri puis en mélopée. Ainsi commence, dans l’obscurité, la pièce du Sud-africain Gregory Maqoma donnée du 14 au 16 juin en ouverture du festival de Marseille. Soudain résonne la ligne percussive des premières mesures du Boléro, sur lequel se superposent des chants polyphoniques composés par Nhlanhla Mahlangu et interprétés a capella, en langues zoulou, xhosa et sotho, par quatre musiciens.
Vêtus de grises tenues androgynes, neuf danseurs hommes et femmes commencent à se mouvoir à l’unisson, frappant des pieds le sol et balançant les bras de part et d’autres du buste au son de la musique. Autour d’eux, des croix blanches installent un paysage désolé qui fait écho aux paroles hantées par la mort des mélodies.
Pour cette création, Maqoma s’est en effet inspiré des livres Cion et Ways of dying de l’écrivain Zakes Mda, épopées tragiques sur les esclaves en fuite. Il a transposé sur scène le personnage du Pleureur, réceptacle de toutes les douleurs contemporaines - conflits meurtriers, esclavage moderne, exil, immigration, Etats qui oppressent, corrompent ou tuent. Autant de drames que va suggérer successivement la scénographie de Cion : Le Requiem du Boléro de Ravel, titre complet du spectacle. Dès les premières minutes, le chorégraphe superpose ainsi avec brio les couches de son millefeuille culturel : la musicalité des voix, expression première de la musique, une danse forte et incarnée qui puise son énergie au pantsula des ghettos noirs de Johannesburg, un texte brûlant pour dire les souffrances humaines, et liant le tout, ce chef-d’œuvre intemporel et universel qu’est le Boléro de Ravel.
Remarquons au passage combien il faut d’audace pour se mesurer à une partition qui depuis, un siècle a inspiré tant de chorégraphes. Et ajoutons immédiatement que Maqoma fait bien mieux que simplement réussir ce rite de passage. Sans doute parce que ce n’est pas pour lui un défi, mais juste une source d’inspiration parmi d’autres, il réussit à rendre à ce tube archi célèbre sa force renversante. Plus qu’une chorégraphie, sa pièce est de fait un opéra dansé où la transe ravélienne transposée en isicathamiya - le chant traditionnel zoulou - par le choeur Phuphuma Love Minus qui travaille aussi avec Robyn Orlin, accompagne et guide la révolte des corps.
Révolte, oui, car en dépit de la tonalité sombre de l’ensemble, les neuf interprètes portent aux cotés des quatre musiciens un message de lutte et d’espoir. Le frappé de pieds de la danse traditionnelle, motif récurrent de leur gestuelle, est aussi le signe de leur résistance à toutes les oppressions. Et l’hommage vibrant rendu, par ceux qui sont encore debout, à leurs frères tombés au champ d’honneur des crimes de l’humanité.
Isabelle Calabre
Vu le 16 juin 2019 au Théâtre de la Criée à Marseille.
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