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Mithkal Alzghaïr crée « We are not going back »

Prenant la suite du succès Déplacement, la nouvelle pièce du chorégraphe syrien surprend par sa poésie. Elle évoque pourtant les migrants.

Douleur et douceur ne sont en rien contradictoires, dans We are not going back. Ce quintet évoque la question des migrants en composant  une élégie chorégraphique, une œuvre si musicale qu’on peut y voir une forme de ballet. Trois femmes et deux hommes forment un échantillon de l’humanité où chacun.e affiche sa personnalité et sa couleur. Ils bougent ensemble, face à quelque chose qui les dépasse. On les sent réunis par la situation et par l’adversité, plus que par des affinités réciproques. Mais seule la coopération de tous peut aider l’individu à résister aux dangers.

Depuis que la crise migratoire a atteint les rives de l’Europe, beaucoup de chorégraphes ont travaillé sur cette lecture des dangers encourus par les populations déplacées. Ils mettent alors l’accent sur les situations concrètes, sur la fatigue du corps et de l’esprit, sur des situations violentes... Mais ce sont là des points de vue de chorégraphes européens, nobles et humanistes, mais aussi nourris de sentiments de culpabilité. Alzghaïr qui est lui-même Syrien n’a pas besoin de montrer patte blanche sur le terrain de la compassion. Il s’adresse à nous depuis un ailleurs humain et artistique où on ne l’attendait pas. Et c’est tant mieux.

Galerie photo © Laurent Philippe

Autour de cette création, le chorégraphe développe, par écrit, un long discours très politique et analytique, sur les raisons et les conséquences du rejet des migrants, l’absence de valeurs humanitaires dans le capitalisme et la perte des libertés politiques en Occident. Il est ici très en phase avec la Maguy Marin actuelle qui part de l’analyse du néolibéralisme. On pouvait donc attendre une pièce où le discours tiendrait autant de place que dans Deux-mille-dix-sept ou Ligne de crête de Marin. Mais les cinq errants nous rappellent bien plus les personnages de May B et leur état de suspension entre la vie et la mort. Dans les têtes des cinq personnages, résonnent encore les échos (musicaux) du monde qu’ils viennent de quitter et déjà l’appréhension du monde qui (ne) les accueillera (pas).

Galerie photo © Laurent Philippe

We are not going back s’élance donc sur un fond de bouleversements violents. Et pourtant cette pièce cultive une note presque méditative, pleine d’espérance et de lévitation. Comme déjà dans Déplacement, les mains en l’air sont un geste de reddition et de danse traditionnelle en même temps. Chaque geste du vocabulaire d’Alzghaïr est en lien avec l’histoire. Et pourtant, la personnalité de chaque interprète s’exprime ici pleinement. Annamaria Ajmone s’épanouit en soliste, introduisant ces décrochages caractéristiques dans une état de corps harmonieux.

Ces présences très contemporaines nous paraissent aussi familières que leur situation atteint le surréel. Pour nous. Et ils nous touchent. Mais pour eux-mêmes, la suspension entre une situation de départ et un non-lieu d’arrivée est terriblement concrète. Aussi la pièce trace une condition toujours remise en cause et donc furtive. Cet entre-deux en matière de gravité et de rapport au temps tient sur un fil, du début à la fin. Harmonie et poésie sont les invités surprise de cette traversée mentale et physique, « entre corporalité éduquée et humanité espérée », comme le dit Alzghaïr. Car « De la violence vers le soin des autres, de l’abandon à la lutte, du conflit vers l’harmonie, il n’y a que de minces frontières.... »

Alors que l’énorme succès international du trio Déplacement de Mithkal Alzghaïr retentit encore, il livre ici sa deuxième pièce chorégraphique, qui reprend le fil de la première et n’a rien à envier à la pertinence et la clarté, ni à la subtilité de Déplacement. On sait combien il est difficile de poursuivre sur une même route, avec la même fraîcheur, dans une nouvelle pièce qui suit une œuvre fondatrice. We are not going back réussit pleinement cette gageure.

Thomas Hahn

Festival Montpellier Danse, Théâtre des 13 vents, le 3 juillet 2019

Chorégraphie : Mithkal Alzghair
Danseurs : Annamaria Ajmone, Mirte Bogaert, Yannick Hugron, Samil Taskin, Judit Dömötör
Création musicale : Shadi Khries
Création lumières : Julien Bony et Julie Valette

En tourrnée :

les 24 et 25 septembre au Théâtre de la Ville/Théâtre des Abbesses
le 23 novemebre au Théâtre Louis Aragon, Tremblay-en-France
le 21 janvier 2020 Théâtre d’Arles

 

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