Printemps Coréen, la face cachée par la K-Pop
Le festival coréen de Nantes fait de la danse un axe majeur. Une bonne raison d’y découvrir une troupe de grande envergure, venue de la ville d’Ulsan.
A l’heure actuelle, plus rien ne semble pouvoir arrêter la déferlante mondiale de la cuisine coréenne et de la K-Pop, entreprise musicale au succès commercial mondial, qui suscitent une curiosité croissante pour le Pays du Matin calme. Même la Tunisie a désormais son festival K-Pop ! Mais la Corée aimerait autant valoriser son patrimoine musical et chorégraphique. La diaspora coréenne étant importante en Europe, on y compte naturellement un grand nombre d’artistes et de personnes passionnées par la culture qui s’investissent dans les échanges.
C’est ainsi qu‘à Nantes, le festival Printemps Coréen, fondé et dirigé par Mee Ra Baudez et la musicienne Jeoung-Ju Lee, a connu sa 7e édition, mettant l’accent sur la danse. Une bonne raison donc, de l’explorer, surtout à travers la venue d’une compagnie importante et pourtant inconnue, tout autant que sa chorégraphe, Eun Joo Hong. Il faut simplement, avant d’aller à sa rencontre, se détacher des sentiments immédiats qu’on peut éprouver en entendant le nom de cette troupe, qui s’affiche comme Ulsan Metropolitan Dance Company, ce qui nous évoque plutôt une troupe d’amateurs ou d’animation. Mais sur le terrain, et surtout sur le plateau, c’est tout le contraire !
Une troupe aux dimensions impressionnantes
La raison est qu’en Corée du Sud, les tutelles n’ont pas forcément le réflexe de créer des noms individuels pour leurs institutions. A leurs yeux, il s’agit donc d’une « compagnie municipale ». Soit. Mais en même temps, il s’agit du plus grand ensemble venu de Corée depuis la mémorable Année France-Corée de 2015/16. La Ulsan Metropolitan Dance Company emploie en permanence un effectif impressionnant de trente-huit danseurs et quinze musiciens. On est donc plutôt dans les dimensions d’un ballet national, et la résonance purement administrative de son nom occulte la force poétique et philosophique de la démarche artistique.
Ulsan ? Rien d’autre que le nom de son port d’attache, une ville de 1.2 millions d’habitants qui s’est enrichie grâce à la présence de quelques géants industriels sur son territoire, notamment le plus grand site de production automobile du monde. Fondée en 2000, la Dance Company est dirigée depuis 2018 par Eun Joo Hong, chorégraphe passée par la direction de plusieurs troupes indépendantes et une collaboration de quatre ans avec le Théâtre National Coréen.
En 2017 elle signa une première pièce pour la troupe d’Ulsan, avant d’en prendre la direction et viser un nouvel essor artistique, s’appuyant sur les danses, musiques et philosophies traditionnelles. La pièce de quatre-vingt-dix minutes est la version XXL d’une autre, créée pour la compagnie Lieul, ayant remporté le prix chorégraphique 2017 décerné par la présidence de la république coréenne.
La recherche d’une voie coréenne
Il faut donc considérer Mom Arirang – Aje Aje comme l’expression d’une démarche dans laquelle le pays se reconnaît : Une pièce où sept musiciens accompagnent vingt-trois interprètes chorégraphiques, à l’écrasante majorité féminine. La distribution reflète la réalité d’une compagnie qui compte trente-et-une danseuses pour sept hommes. « Ce n’est pas un choix, mais quatre-vingt-dix pourcent des diplômé.e.s en danse coréens sont des femmes », explique Hong. Ces jeunes artistes chorégraphiques sont le produit d’un système universitaire qui reste drôlement conservateur, alors qu’ils sont censés construire le paysage chorégraphique de demain et suivent, pour ce faire, souvent des modèles occidentaux. Quelle peut donc être une voie coréenne ?
« Je veux parler de solitude, de douleur, de souffrance humaine et pourtant terminer sur un message d’espoir », dit la chorégraphe. Le titre de la pièce, Mom Arirang – Aje Aje, reprend des concepts omniprésents en Corée, l’Arirang étant une incarnation de l’âme du pays, une évocation de la joie retrouvée grâce à une authentique et intime connaissance de soi. Le travail de Hong va dans le sens d’un regard contemporain sur les fondements bouddhiques et shamaniques de la culture coréenne, en intégrant, avec parcimonie, les échos du monde actuel.
Pansori et violoncelle
L’idée de départ est, selon Hong, celle d’un chemin vers soi et « la souffrance de ne pas pouvoir rencontrer le Bouddha quand on cherche la lumière, quand les désirs humains empêchent de trouver ce chemin. » On frappe alors à une porte apparemment fermée, comme cette héroïne qui frappe le tambour traditionnel de ses mains nus.
Impressionnante par son ampleur, sa profondeur, ses qualités chorégraphiques et visuelles, cette fresque est en plus accompagnée par des compositions musicales enracinées dans une tradition millénaire et pourtant jouées dans un esprit résolument contemporain, évitant toute surenchère sentimentale. Aux instruments traditionnels et à l’art vocal puissant et rythmé du Pansori, Hong ajoute un violoncelle et des échos sonores de la vie d’aujourd’hui. « La musique joue ici le même rôle que le texte d’un film au cinéma », dit la chorégraphe.
Bouddhique, shamanique et contemporain
Mom Arirang – Aje Aje est principalement une œuvre chorale, faite de tableaux de groupe contrastant avec la rencontre entre l’ héroïne en recherche d’elle-même et le Bouddha, ici incarné par une danseuse ! Une revendication ? Plutôt, pour la chorégraphe, une œuvre créée à partir d’elle-même et son désir de danse, toujours à renégocier avec l’idéal d’une épure bouddhique. Car danser, c’est aussi un désir humain. D’où un tableau saisissant de lutte avec soi-même, où plusieurs danseuses s’alignent face au public pour une véritable bataille gestuelle avec leurs propres yeux, bouches et oreilles.
Mais au-delà de ces références, la mythologie shamanique coréenne est également présente. Un esprit de la forêt, selon la chorégraphe l’incarnation de plusieurs siècles de souhaits inassouvis des humains, balaye le sol de ses énormes manches. Le vent déclenche un souffle qui soulève le feuillage et le cercle ainsi dégagé peut se transformer en lac, grâce au jeu très plastique des lumières.
Entre Bausch et Sankai Juku
Cette fresque chorégraphique se déroule dans un décor et sous des éclairages créant de véritables paysages. Est-ce encore un spectacle chorégraphique ou déjà du land art ? On y trouve aussi un soupçon de ballet romantique, de Wilis notamment, et une féminité rappelant celle des spectacles de Pina Bausch. La chorégraphe a en effet vécu en Allemagne, où elle s’est intéressée de près au Tanztheater Wuppertal.. On trouve des ambiances expressionnistes, des perspectives panoramiques proches du cinéma ou encore un côté cérémonial jusque dans les saluts qui n’est pas sans rappeler Sankai Juku.
A la rentrée, Hong créera une nouvelle pièce pour la compagnie qui s’ajoutera à un répertoire de six grands spectacles et de petites formes plus mobiles. A la tête de cette troupe qui assure une cinquantaine de représentations par an, Hong travaille sous un contrat, évidemment renouvelable, de deux ans seulement. Pendant ce temps, il n’est pas certain que le festival Printemps Coréen pourra continuer à contourner le phénomène de la K-Pop. Mais il sera toujours là pour éclairer la dimension historique et actuelle du Pays du Matin calme, au-delà des vedettes de quelques jours.
Thomas Hahn
Spectacle vu au festival Printemps Coréen, le 28 mai 2019, Nantes, Stéréolux
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