« Tropismes » d’Olivier Dubois
Quand Olivier Dubois revisite à son tour le clubbing, ses interprètes font vaciller le ballroom. Trop vite satisfaits de leur exploit, ils se reposent. Que fait le public ?
La feuille de salle annonce Tropismes comme « le troisième volet du projet que mène Olivier Dubois autour de La Divine comédie », après Les Mémoires d’un seigneur (2015) et 7x Rien (2016). Cela semble logique, le triptyque étant la forme obligée pour évoquer l’ambiance, le thème ou la forme de l’œuvre de Dante Alighieri. Difficile de faire autrement qu’en suivant le chemin tout tracé : Enfer-Purgatoire-Paradis. Comme avant Dubois, tous les Romeo Castellucci, Virgilio Sieni, Emio Greco et autres Aurélien Richard qui se sont inspirés de l’imaginaire dantesque.
Mais Dubois ne serait pas ce trublion en quête d’absolu s’il ne revendiquait pas, comme le suggèrent les vers de Dante au début de la Commedia, le droit de se perdre - dans une forêt obscure éventuellement, et pourquoi pas dans un ballroom, et surtout en soi-même.
Il se peut aussi que Dubois se soit égaré dans sa propre trilogie, ou bien que nous y ayons perdu le nord, puisque la référence à ce voyage dans les limbes ne s’affirme qu’à partir de 7 x Rien où volent en éclats les sept péchés capitaux. Soit. Quant aux Mémoires d’un seigneur, le chorégraphe n’évoquait pas Dante mais Caligula de Camus et autres seigneurs de guerre dans leur solitude. Mais que la trilogie divine soit réelle ou virtuelle, impossible de nier que Tropismes en serait une parfaite conclusion ou peut-être même un résumé. Chute, passage et paradis.
Clubbing dantesque
Dans l’obscurité d’une boite de nuit, quatre femmes et quatre hommes, principalement vêtus de cuir noir, semblent vouloir faire sortir l’enfer même de leurs corps, en dansant jusqu’à ce que le mouvement collectif semble faire trembler l’espace autour d’eux. Cette danse a tout d’un match de boxe ou bien, justement, d’un purgatoire. Et elle offre même une belle créativité chorégraphique. Comme dans le tableau suivant, des passages qui mettent à profit la chaleur produite pour faire fondre l’une dans l’autre des danses de caractère tendance jumpstyle, des éléments de danses traditionnelles et des clins d’œil faits au ballet.
Après quoi nous sommes profondément contents pour les personnages, enfin autorisés à sortir de leurs tropismes mécaniques. L’ambiance musicale s’adoucit et ils peuvent se rapprocher les uns des autres, se draguer, se toucher et même oser des caresses, avant de s’asseoir au sol pour un chill-out paradisiaque. Le seul problème est qu’ils n’ont plus rien à dire aux spectateurs et qu’à ce moment, le public est déjà passé à un état d’ennui infernal.
Descente aux enfers
Comment en vouloir à Dubois s’il veut ici apporter sa goutte d'eau au tsunami de spectacles chorégraphiques revisitant les danses sociales ? La promesse était belle, car venant de la part d’un chorégraphe qui n’a jamais eu peur des limites du corps et des projections mentales. On pouvait imaginer que l’énergie des jeunes clubbers établirait un lien fort avec le public. Mais cela ne se produit pas sans « augmenter » le clubbing en matière d’énergie et de complexité.
Et Dubois montre que cela est parfaitement dans ses cordes. On a par ailleurs vu des séquences d’aérobic tout à fait divertissantes chez d’autres chorégraphes. Face à la tentative d’en introduire dans Tropismes, Jane Fonda resterait perplexe. Nous aussi. Le paradoxe de cette descente aux enfers est qu’elle se fait sur fond de quête d’élévation et de la « rage nécessaire à lutter contre notre disparition », comme le dit Dubois. Lutte perdue d’avance mais oh combien euphorisante, à condition d’aller au bout de ce que le chorégraphe appelle la « possession pour déposséder la mort de ses droits. » Ce repos final annoncerait-il un changement de cap, un Dubois nouveau, moins porté sur l’exubérance ? Au lieu de « danser contre la morsure du temps », comme il dit, commencerait-il à danser avec elle ? Tropismes, une pièce de passage ?
Thomas Hahn
Spectacle vu le 1er avril 2019, Centquatre-Paris
Chorégraphie : Olivier Dubois
Interprètes : Cyril Accorsi, Marie laure Caradec, Steven Hervouet, Aimée Lagrange, Sophie Lèbre, Sébastien Ledig, Vianney Maignan, Sandra Savin et François Caffenne
Assistante artistique : Karine Girard
Compositeur & interprète : Francois Caffenne
Guitariste interprète : Thomas Ricou
Lumières : Emmanuel Gary
Costumes : Laurence Chalou
En tournée :
16 mai 2019, Théâtre de Nîmes
15 juillet 2019, Bolzano (I)
25 octobre 20189, Rotterdam (NL)
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