Ballet de l'Opéra de Lyon : « Newark », « Foray Forêt », « Set and Reset/Reset » de Trisha Brown
Le programme était copieux. Trois classiques de l’avant-garde américaine d’environ une demi-heure chacun, griffés Trisha Brown, interprétés par une troupe lyonnaise au mieux de sa forme, soit deux heures en tout, entractes compris.
Une entame sous tutelle picturale, Newark (1987), hachée de baissers et de levers de rideaux, plusieurs gigantesques rectangles monochromes, signés, comme la B.O. de la pièce, de l’artiste minimaliste Donald Judd ; une gradation, littéralement, en fanfare, Foray Forêt (1990), avec, entre autres, dans la playlist de l’harmonie invitée, la Fanfare Piston, Katioucha (1938) et Emmenez-moi (1967) ; un final de toute beauté, de par la simplicité et la répétitivité des motifs gestuels, qui a justifié les nombreux rappels d’une salle comble et comblée.
Le Ballet de la capitale des Gaules nous avait déjà épaté lors de la reprise, en 2016, du chef d’œuvre incontestable de Lucinda Childs, tout simplement intitulé Dance. Cette fois-ci, avec trois pièces, différentes l’une de l’autre, de la regrettée Trisha Brown, il continue de « le faire ». Autant la mathématique de Childs devait être – et elle le fut – suivie, respectée à la lettre, autant la ductilité, l’élasticité, la décontraction du mouvement de la native d’Aberdeen (Etat de Washington) sont loin d’être évidents à attraper ou, ne serait-ce, qu’à imiter. Ce phrasé unique, sans équivalent, désarçonne plus d’un danseur, qu’il soit aguerri à la discipline du ballet ou habitué aux master classes dispensées par les disciples d’Anna Halprin et les rescapés de la Judson Church.
Nous avons eu l’impression, en début d’une soirée entièrement consacrée à Trisha Brown, avec des pièces qui font maintenant partie du répertoire du Ballet de l’Opéra, que le style, sinon classique, du moins « modern dance », était celui qui posait le moins de problèmes aux danseurs – ce, malgré la pratique de la synchronie et de l’unisson allant, d’après nous, contre les principes cagiens et/ou cunninghamiens.
Foray Forêt (1990), travail groupal, a moins atteint sa cible. C’est l’impression que nous avons eue. Effectivement, nous n’avons pas trop senti l’enthousiasme qu’on pouvait espérer d’un opus pourtant riche et varié en micro-événements. Peut-être trop subtil pour que les nuances puissent être reçues du dernier rang de l’orchestre. Et, en même temps, un peu trop kitsch – cf. les uniformes, en tissu métallisé, argenté et doré, dessinés par Rauschenberg pour des prêtresses d’une Egypte fantasmée.
Foray Forêt - Galerie photo © Blandine Soulage
Lorsque nous avions vu cette pièce, sur la scène dressée en plein air au Palais Royal par le festival Paris quartier d’été, nous avions mieux perçu les contrastes entre les parties acrobatiques – dérivées de la Contact improvisation – et les « petits riens » qui pourraient être d’ailleurs caractérisés par leur discrétion même – au sens où l’entendent les linguistes, de marqueurs de discontinuité et de rupture diégétique ou kinesthésique. Cette discrétion n’est pas tout à fait le silence, plutôt le signe d’un mouvement en pointillé. Les passages ralentissant le geste sont d’autant plus importants dans cette composition que ceux d’apparence virtuose.
"Newark" et "Set and Reset/Reset" - Galerie photo © Blandine Soulage
Nous avions donc en tête l’ailée Leah Morrison, pointue et éthérée dans le souvenir de cette pièce mais devons reconnaître avoir été agréablement surpris par la remarquable prestation de Dorothée Delabie – la seule interprète qui ait dansé dans les trois œuvres le soir de la première. La danseuse fait plus que tirer son épingle du jeu : elle suit, à la lettre et dans l’esprit, la logique du travail de Trisha Brown. Sa danse pure et impure – à l’épreuve du « réel » –, intègre et intégrale, aux enchaînements inattendus paraissant aller de soi, a toujours tenu compte du lieu de sa monstration (jardin public, galerie d’art, musée, retour à la maison du théâtre à l’italienne) comme des interprètes susceptibles de la perpétuer.
Après la surprise des deux mobiles abstraits, sculptures cinétiques droit issues d’un ballet mécanique, polyèdres tombant des cintres, faits de fils, en forme de lampadaires, de tubes, de sabliers, une version récente de Set and Reset/Reset a lyriquement conclu la soirée de gala.
Nicolas Villodre
Vu le 24 janvier 2019 à la Maison de la Danse
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