« Kiss & Cry » de Michèle Anne De Mey et Jaco Van Dormael
La nanodanse de Michèle Anne De Mey, Kiss & Cry, danse plus que la non-danse. Mais est-ce encore de la danse ?
La chorégraphie digitale, au sens propre la rattachant à celle des mains, fait partie des danses anciennes, vernaculaires ou inventées de toutes pièces, traditionnelles ou « savantes ». Elle prend son sens avec le mudra indien, qui se change en floreo ou pur ornement avec le flamenco complétant le capricieux braceo – port de bras affecté, altier ou engageant, qu’on retrouve dans le ballet ou la danse bolera.
Les ombres chinoises en ont joué de tout temps, également. Et ce jusqu’à la pièce intitulée Les Ombres gigantesques qui faisait partie des shows de la troupe de Loïe Fuller dans les années vingt. La danse contemporaine ne l’a pas dédaignée : on se souvient du ciné-ballet expérimental de tendance minimaliste d’Yvonne Rainer, Hand Movie (1966), des gestes prestes, abstraits en apparence, d’un Merce Cunningham s’essayant avec Charles Atlas aux inserts vidéo dans Blue Studio (1976), à ceux d’un Edouard Lock au milieu des années 80, des britanniques Wendy Houston (Touched, 1994) et Jonathan Burrows (Hands, 1995) et, bien entendu, de Pascale Houbin qui apprit d’Emmanuelle Laborit une langue des signes qu’elle a su avec grâce styliser et transmettre aux danseurs de Decouflé. On pourrait de même trouver des points communs entre la danse des mains indonésienne qu’est le Saman et les percussions corporelles actuelles – à commencer par l’œuvre du frangin de la chorégraphe, Thierry De Mey, Musique de tables, 1987.
Kiss & Cry ne cherche pas la virtuosité propre à des expressions comme le Finger Tutting, niche gestuelle extraite du Popping popularisée par Julian "JayFunk" Daniels et John Hunt, dans nos années dix, grâce au film et, surtout, aux compétitions et démos diffusées sur Youtube.
Dans le cas qui nous occupe, nous avons été épaté par la réalisation admirable, et sans le moindre accroc aucun, de Jaco Van Dormael, la qualité de l’image en haute définition de Julien Lambert, assisté d’Aurélie Leporcq, celle de la B.O. de Dominique Warnier pour partie (un ou deux dialogues sont dits au micro) mixée live par Boris Cekevda, la performance avec laquelle le cadreur passe d’un des décors-maquettes de Sylvie Olivé à l’autre, la précision gestuelle de Michèle Anne De Mey et Grégory Grosjean, la délicatesse des manipulations de Bruno Olivier, Gabriella Iacono et Pierre Garnier. Tout cela nous a touché. Nous sommes, il faut dire, moins sensible à la narration, au surlignement lyrique musical – en l’occurrence par les airs de Haendel, Vivaldi, Arvo Pärt, Joseph Kosma, Tchaïkovski, Ligeti.
La scène de la Scala de Paris, transformée en plateau de cinéma, en studio de tournage, régie vidéo et audi de mixage, les coulisses de l’exploit nous étant ainsi dévoilées, en lumière tamisée, certes, retrouve une de ses précédentes destinations de salle de ciné de quartier. Un grand écran est accroché aux cintres. La dizaine de machinos en tenue sombre – excepté l’homme à la caméra, de clair vêtu comme pour être par ses pairs repéré et esquivé dans la pénombre – , après avoir fait corps pour se motiver façon All Blacks, entrent en jeu. Un jeu d’enfants, avec train électrique, soldatesque miniature, maisons de poupée, main coupée jivaresque gardée telle une perle précieuse au fond de son écrin. Et une poignée, si l’on les a bien comptés, de souvenirs d’une vieille dame assise sur un quai de gare. Autant dire que la pièce se situe plutôt dans l’univers poétique de la danse des petits pains immortalisée par Chaplin dans The Gold Rush (1925) que dans celui des dramatiques télé en direct de l’époque des Buttes Chaumont ou de la perf « arty » m’as-tu-vu.
Après des soli et nombre de duos, des danses pianistiques – à quatre mains – Michèle Anne De Mey et son alter ego Grégory Grosjean ne peuvent s’empêcher de danser de tout leur corps. Ce pas de deux sert au film de happy end.
Nicolas Villodre
Vu le 4 décembre à La scala , Paris
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