Angelin Preljocaj : « Gravité »
Gravité est une pièce somptueuse, d’une construction parfaite qui met en lumière le talent des danseurs du Ballet Preljocaj. La pièce est actuellement à l'affiche à La Criée -Théâtre National de Marseille.
Gravité d’Angelin Preljocaj commence en apesanteur. Les corps alanguis, rongés par l’obscurité s’élèvent doucement pour une ronde de nuit aux volumes harmonieux, dans laquelle les courbes de Clara Freschel, enceinte, s’inscrivent parfaitement. L’enchaînement et le passage mélodieux d’un mouvement à l’autre semblent provenir d’une dilatation intérieure. La lumière (signée Eric Soyer) accroche les corps et les rapproche comme pour aller sous leur peau, à la battue des veines, à l’intérieur du geste.
Galerie photo : Laurent Philippe
La chorégraphie se met doucement en place comme une poussée vers une expression commune. Dans cette fresque de corps encastrés, on retrouve le sens de la statuaire d’A nos héros, une des premières pièces du chorégraphe qui l’avait révélé. Dans ce fondu au noir, apparaît une dilution ou une précision du détail correspondant à l’intensité et au resserement de l’attention. Un solo, qui ouvre et ferme la pièce, dansé par Isabel Garcia Lopez éveille toute sortes de reflets et d’échos – danseuse, femme, oiseau, chimère, machine… – par l’importance donnée au vide et à l’espace, dans une sorte de silence accaparant littéralement le regard.
Galerie photo : Laurent Philippe
Sorte d’hommage définitif à la danse car il en dégage l’essence et relie le passé au présent. D’ailleurs, d’une certaine façon, Gravité, dépassant de très loin la simple étude du déplacement du poids du corps dans la chorégraphie, remet l’histoire de la danse à l’endroit, en choisissant d’en montrer la continuité plus qu’une prétendue rupture entre classique et contemporain. Et Gravité fait surgir des Piéta et des Grandes Nymphes, de la danse classique dévoyée, un brin de Cunningham avec un twist très surprenant qui le déstructure totalement, des appuis grahamiens, et des gymmicks anatomiques, une visite à la danse baroque, un souvenir de Paul Taylor et un clin d’œil appuyé à Maurice Béjart. Peu importe, c’est toujours du Preljocaj pur sucre. Au passage, il en profite pour établir une sorte de syllabus de ses trente ans de vocabulaire personnel à travers des portés fascinants, des équilibres miraculeux, et des poses sculpturales. Tressant petits groupes et ensembles comme dans un concerto, la pièce se déploie en tableaux intenses tous baignés d’une lumière empruntée à la mémoire.
Galerie photo : Laurent Philippe
Au fur et à mesure, la gestuelle se fait plus aérienne. Le petit peuple des treize danseurs a fait connaissance avec la nuit et s’envole vers la lumière dans une sorte de jubilation inaltérable, à l’image de la bande-son hasardeuse mais terriblement réussie, qui démarre avec la Rapsodie Espagnole de Ravel et enchaîne avec Chostakovitch, Bach, Daft Punk Xenakis et Philipp Glass, entre autres. Les costumes d’Igor Chapurin, styliste et collaborateur du Bolchoï, ajoutent avec leurs textures et leurs modelés à cette traversée. Dans ce voyage qui commence par le contour et finit par la vibration, la pièce se déploie comme un univers en expansion, se complexifiant et s’accélérant plus on s’éloigne du centre… de Gravité, à savoir ce vortex initial d’où tout est parti. Aussi, quand la troupe se resserre de nouveau, on croit que c’est la fin. C’est alors que l’on entend le Boléro de Ravel…
Agnès Izrine
Vu le 20 septembre 2018, Biennale de la Danse de Lyon, TNP Villeurbanne.
Gravité : Du 13 au 16 février 2024 - La Criée- Théâtre National de Marseille
CCN Pavillon Noir - Ballet Preljocaj
Distribution :
Chorégraphie Angelin Preljocaj
Musiques Maurice Ravel, Johann Sebastian Bach, Iannis Xenakis, Dimitri Chostakovitch, Daft Punk, Philip Glass, 79D
Costumes Igor Chapurin
Lumières Éric Soyer
Assistante répétitrice Cécile Médour
Choréologue Dany Lévêque
Danseurs Baptiste Coissieu, Leonardo Cremaschi, Marius Delcourt, Léa De Natale, Antoine Dubois, Clara Freschel, Isabel García López, Véronique Giasson, Florette Jager, Laurent Le Gall, Théa Martin, Víctor Martínez Cáliz, Nuriya Nagimova.
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