Montpellier Danse : « aSH, pièce pour Shantala Shivalingappa » d'Aurélien Bory
Une rencontre très attendue entre deux chorégraphes à Montpellier Danse : Bory achève sa trilogie de pièces-portrait.
En 2008 Aurélien Bory retrouve la danseuse Stéphanie Fuster, devenue une artiste flamenca à part entière, et rencontre, presque au même moment, la danseuse contemporaine Kaori Ito ainsi que la danseuse kuchipudi Shantala Shivalingappa. Il décide alors de consacrer à chacune une pièce en guise de portrait. Avec Fuster, il s’agissait de retrouvailles. Et avec Plexus, le solo portrait de Kaori Ito, on a pu constater à quel point leurs univers respectifs, entre danse et arts du cirque, pouvaient fusionner en bonne intelligence [lire notre critique].
La rencontre avec Shivalingappa s’est produite en Allemagne, à l’occasion du festival Trois semaines avec Pina que Bory rencontra l’interprète de plusieurs pièces du Tanztheater Wuppertal, dont Nefés, à revoir en juillet à Paris (1). Mais quel pouvait être le terrain commun entre Bory et Shivalingappa qui vit entre Madras et Paris et développe une forme contemporaine de la danse kuchipudi? Les lointaines racines familiales indiennes dans la généalogie de Bory aident peu, le sous-continent ne faisant pas partie des terres qu’il avait exploré avec les pieds. Restent les livres, la mythologie, les saveurs...
Shiva
aSH, pièce pour Shantala Shivalingappa porte en son titre un petit souffle à la Pina et condense en trois lettres (et deux langues) son intention, son sujet et l’enjeu scénographique : Shantala, Shiva et les cendres (ash en anglais), symboles du cycle de la vie. « Shiva est un dieu créateur et destructeur. Seigneur des lieux de crémation, il se recouvre le corps de cendres. Shantala Shivalingappa a construit sa danse sur la figure de ce dieu dont la vibration rythme la manifestation du monde », écrit Aurélien Bory.
En partant des liens organiques entre le nom de l’interprète et celui du dieu hindou de la danse, en sachant que chaque jour de l’année, Shantala Shivalingappa est liée à Shiva par sa pratique et par son nom, le choix fut fait de créer un seul personnage dans lequel se superposent la danseuse, son nom et la divinité. Et voilà que Shivalingappa prend des poses très articulées et épurées, prenant appui sur le kuchipudi, mais renvoyant autant à l’art préhistorique qu’à l’art contemporain.
Derrière elle, une énorme toile se dresse, s’anime, gronde, se courbe, envahit le sol et participe au paysage sonore créé live par le percussionniste Loïc Schild. La danseuse semble être dominée par cette toison surpuissante, et en même temps en contrôler les mouvements et les ombres qui l’envahissent, comme si elle les dirigeait grâce à un dispositif interactif. Le rituel peut commencer…
Shantala
Si aSH... est un portrait, alors Bory le dessine à l’encre de Chine. Il n’y là que du noir et du blanc, et parfois le reflet d’une lumière solaire ou lunaire sur l’énorme toile qui incarne soit Shiva, soit son énergie destructrice. Et Shantala, en guerrière de la danse, en Shiva avide de cendres, se lance dans une conquête de l’extrême épure. Avec de l’eau et de la poudre de riz blanche, elle dessine, en partant d’une énorme spirale, un mandala qu’elle travaille de ses pieds comme Anne Teresa de Keersmaeker le sable dans Fase - Four Mouvements to the Music of Steve Reich.
Mais peut-on révéler la personne et l’artiste qu’on est, en incarnant un personnage qui s’impose à la manière de Shiva? aSh... ne donne à voir le visage de son interprète que vers la fin, et nous offre une seule et unique facette - certes splendide - d’une chorégraphe et interprète pourtant si riche en expressions et en inventions, entre tradition et avenir.
On verra donc en ce solo plutôt l’idée d’un aboutissement, d’un espace de recherche et la révélation d’une vision, et pas tellement un projecteur braqué sur Shivalingappa. Si le solo de Fuster porte le titre de Qu’est-ce que tu deviens?, celui créé lors de la 38e édition de Montpellier Danse pourrait donc s’appeler: Qu’est-ce que tu voudrais devenir? Danseuse ou déesse? Traversante ou traversée? Car l’énorme toile risque souvent d’avaler la présence scénique de l’interprète humaine, qui pourtant résiste et sort irradiée de son épreuve.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 27 juin 2018 au Théâtre de Grammont dans le cadre de Montpellier Danse 2018
En tournée :
12-14 décembre 2018 : TJP – CDN Strasbourg
8-9 janvier 2019 : Maison de la Culture, Bourges
13 janvier : Equinoxe, Châteauroux
17 janvier : Agora, Boulazac
16 février – 1er mars : La Scala, Paris
24 mai : Théâtre de l’Olivier, Istres
28-29 mai : Théâtre de Caen
1) du 2 au 12 juillet 2018, au Théâtre des Champs-Elysées, dans la programmation du Théâtre de la Ville
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