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« PACIFIKMELTINGPOT » de Régine Chopinot

La chorégraphe invite au voyage, en toute ouverture, entre Japon, Nouvelle-Zélande et Kanaky. Une ample pièce, sans effet d'intimidation, ni clarté de détermination.

On a connu Régine Chopinot au centre et au sommet du système français de la Nouvelle Danse. A cet égard, les toutes premières actions de PACIFIKMELTINGPOT ont de quoi inquiéter. On parle ici des entrées aux plateau, des dix interprètes de cette pièce. Successives, divagantes, et d'une neutralité affectée, on y perçoit une caricature de la tradition académisée de la danse contemporaine occidentale. Or, les artistes qui dans ce cas s'y adonnent sont porteurs d'autres cultures, lointaines : maori, samoa, kanak, japonaise. Que va-t-on en percevoir ?

Dans tout ce qui va suivre, on ne saura jamais trop ce qui justifie leur épopée collective, pourquoi c'est à une chorégraphe française qu'il revient de l'avoir provoquée, ce que cela cherche à dire et à dessiner, sinon reconduit, dans la circulation des idées et des formes en contexte post-colonial et mondialisé. A ces égards, il faudrait pouvoir nourrir avec la chorégraphe des échanges d'une autre teneur que la pirouette. En tous les cas, le tableau final sera autrement grisant ; presque éruptif, après que très longuement, immobiles, muets et en ligne, ces artistes nous aient frontalement observés dans la position de spectateurs.

La pièce a pris le large. Largué les amarres. Son plateau est très ouvert. Nul doute que Régine Chopinot n'est plus au centre et au sommet d'un système. Plutôt à la périphérie. Sur lignes de fuite. PACIFIKMELTINGPOT fait partager cette texture. A nouveau sans trop d'explication, c'est un latino-américain qui y joue d'un gigantesque marimba. Tout respire à ce son magique, qui conjugue sécheresse d'une nette frappe percussive et clarté respirante d'un volume de son.

Les dix interprètes sont des Kanaks, des Maoris et Samoans, des Japonais aussi. Voici des années que Régine Chopinot a provoqué leurs rencontres épisodiques, et la pièce ne parvient dans l'Hexagone que bien des années plus tard, au gré de moyens de production qui n'ont rien de mirobolants. Les talents réunis ici sont ceux de la danse, du chant (parfois proche du sublime), avec aussi une pointe circassienne. Mais c'est le sentiment de rencontre qui l'emporte, selon des opportunités très fluctuantes, comme aléatoires et peu tracées.

Galerie photo © João Garcia

Régine Chopinot nous a parlé d'un "serpent de mer", oscillant entre plongées et émergences, pour caractériser la qualité de ce collectif au long cours. C'est tout à fait ça. Les interprètes s'ingénient à apparier, emprunter, agencer, ce que sont leurs talents, dans une mosaïques d'éclats passagers et reflets profonds, peu contigentés. Ils ont, certes, leurs typicités ethno-corporelles. Mais c'est un exercice salutaire que d'hésiter à les assigner d'évidence, encore moins d'y attribuer de supposées compétences gestuelles particulières.

Plutôt que pareilles affectations cloisonnées, intimidantes, c'est l'appel à circulation qui fait dramaturgie. Entre ces êtres présents en diversité, l'un des rares support d'actions unaniment partagés consiste dans le maniement de toute une quantité de balles. Elles font au sol de douces et nettes trajectoires, mais qui peuvent déborder, s'égarer. Elles font en l'air des paraboles et hyperboles qui frayent avec une pensée cosmique.

PACIFIKMELTINGPOT invite ses spectateurs en voyage, vers des contrées et horizons très lointains, fort mal connus. En pareil cas, le piège de l'exotisme réside dans l'attente de quelques formes, objets, coutumes, qui seraient absolument extraordinaires, une fois extraits du fond d'un coffre insoupçonné. Rien de tel dans cette pièce, où il ne se passe pas grand-chose de "typique". On peut assez vite renoncer à y distinguer ce qui relèverait exactement d'un registre traditionnel ou d'un registre contemporain ; ou bien ce qu'il conviendrait de reverser exactement à une source japonaise ici, ou kanak ailleurs. Etc.

La brassée est plus ample. L'horizon moins borné. La redistribution générale. Au prix qu'on peine à en définir la consistance, et sans qu'elle porte le talent affirmé, distingué et actuel d'artistes au singulier, il émane de cette pièce un sentiment indéniable de liberté. D'échappée. Partagé. Cela fait du bien, depuis là où on est : spectateur occidental, privilégié dans l'accès aux ressources des beautés du monde.

Gérard Mayen

Spectacle vu en première française au Manège de Reims le 13 mars 2018.

Prochaines représentations, du 16 mars au 20 mars à la MC 93, Bobigny

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