Le festival Pharenheit au Havre
Du 23 janvier au 3 février, la 6e édition, accessible à tous, renforce l’impact de la danse en Normandie.
Dernier-né des grands rendez-vous chorégraphiques en France, Pharenheit affiche une belle santé. 21 propositions en deux semaines, dont la moitié au Phare, le CCN du Havre, sur des gradins flambant neufs. La danse prend ses assises en Normandie, mais celle-ci reste, malgré la présence de deux CCN, l’une des régions les moins couvertes en termes chorégraphiques.
Le CCN dirigé par Emmanuelle Vo-Dinh peut donc encore œuvrer pleinement pour rendre la danse plus proche des citoyens normands. Aussi, Pharenheit invite tout le monde à danser, par exemple dans Votre Danse de Mylène Benoît, projet participatif mis en œuvre au MuMa, où chacun(e) est invité(e) à mettre en jeu ses danses personnelles et intimes.
Quand l’argent n’est plus Roi
Pour une fois, parlons argent. Pas de dotations, mais de l’argent déboursé par les spectateurs. On ne le fait pas souvent, un peu comme si la question ne se posait pas. Mais le prix des places a son importance, surtout au festival Pharenheit. Où les adultes payent 5€ par spectacle, et leurs enfants la moitié : Pharenheit aborde sa 6e édition en étendant aussi loin que possible la quasi-abolition du rapport marchand entre l’art et l’argent. Voilà qui aide, naturellement, à étendre le rayon d’action de la danse. En essaimant autour du Havre, Pharenheit est présent dans seize lieux et frappe quasiment aux portes du futur Grand-Paris…
Seuls les grands théâtres de la région imposent encore leurs propres tarifications, notamment pour Les Rois de la Piste de Thomas Lebrun [Lire notre critique]. A voir au Havre même (mais au Volcan) et à Val-de-Reuil, au Théâtre de l’Arsenal. Et le Rive Gauche, à Saint-Etienne-du-Rouvray, qui accueille Partituur d’Ivana Müller, participe à l’opération 5€. Mais Partituur est un jeu chorégraphique interactif qui s’adresse avant tout au jeune public.
L’ouverture est même gratuite pour tous, avec Vorspiel d’Emmanuel Eggermont, terme allemand bien trouvé pour une ouverture, puisque qu’il signifie exactement cela : Une ouverture (musicale), un prélude donc, mais aussi les préliminaires érotiques. Et Emmanuelle Vo Dinh a en effet su donner à son festival une identité philosophique qui met l’humain au centre, avec ses désirs, ses comportements, ses peurs et ses rêves.
Féminité et altérité
L’identité artistique de Pharenheit repose sur des œuvres à la fois très contemporaines et pleines d’empathie. La forte présence de pièces créées par des femmes n’y est pas pour rien. On trouve cet esprit dans les pièces de Mylène Benoît et Nina Santes qui seront créées au festival. Avec La Maladresse, Benoît s’intéresse aux gestes anormaux et involontaires qui parasitent la relation à soi et à l’autre, et lance un appel à regarder ceux qui ne correspondent pas aux codes avec intérêt et sincérité.
Hymen Hymne de Nina Santes est un quintette féminin, masqué et provocateur, qui insiste sur l’image de la femme comme sorcière. Dans ce rituel contemporain, on touche à une dimension profonde des relations entre les sexes, à partir de personnes réelles qui ont participé au mouvement éco-féministe américain de la fin des années 1970.
Mais Emmanuelle Vo Dinh est aussi chorégraphe. Avec Belles et Bois, elle se penche sur le conte de fées. Aurore, le prince et la grenouille vivent de belles aventures au Bois dormant. Où les enfants sont invités à rêver et leurs parents à s’amuser. A moins que ce soit l’inverse…
Témoignages et intimité
L’intime et les témoignages font tout un volet de Pharenheit, à commencer par Thibaud Croisy et son exploration sonore de la rencontre avec un homme où l’on parle de sexualité débridée et de danse : Témoignage d’un homme qui n’avait pas envie d’en castrer un autre, à écouter assis ou allongé, pendant deux heures et demie. Loïc Touzé livre tout ce qui a construit son identité d’artiste, dans Je suis lent, une conférence performée à la fois humoristique et sensible, à la croisée de l’intime, de l’art et du contexte collectif.
Pharenheit est très ouvert à d’autres formats que le spectacle frontal dans des lieux traditionnels. En témoigne la présence d’installations, comme We are still watching d’Ivana Müller ou Dolldrums de Laure Delamotte-Legrand, une installation danse-vidéo qui se décline à travers quatre films chorégraphiés et interprétés par Julie Nioche, à contempler dans un rapport au temps qui permet l’accès à l’intime.
La fin de Pharenheit 2018 sera asiatique. On se souvient de la belle création de Vo Dinh à Hong Kong, Simon Says. Elle y a rencontré le chorégraphe Ong Yong Lock qu’elle invite cette année avec Never Never Land, un duo entre lui et la Taïwanais Chou Shu-yi. C’est la rencontre de deux cultures, qui mène à une interrogation sur la notion d’utilité, concernant le corps en scène autant que la vie en général. Y a du Beckett dans l’air, dans ce regard chorégraphique sur l’existence.
Thomas Hahn
Festival Pharenheit du 23 janvier au 3 février 2018
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