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« Casse-Noisette » de Kader Belarbi

Kader Belarbi Casse la Noisette ! Le Ballet du Capitole remanie astucieusement le ballet phare des fins d’années, emporté par une Julie Charlet éblouissante. (deuxième distribution).

Jusqu’à aujourd’hui, un casse-noisette en uniforme militaire XIXe siècle - en bleu de Prusse, ça va de soi - est un classique de Noël dans les décorations des maisons familiales germaniques. Il est un outil, pas un jouet. Symbole d’une époque, si ce n’est d’une continuité, et l’affirmation de force et d’autorité face aux noisettes, aux noix et aux enfants. Le conte d’E.T.A. Hoffmann en témoigne.

Le spectacle du Ballet du Capitole ressuscite le temps des Contes d’Hoffmann par un travail sur les costumes et la scénographie où l’imagination enfantine se mélange avec un réalisme bluffant.

En effet, tout jouet en bois d’il y a un siècle arbore les mêmes couleurs délavées que les personnages de ce Casse-Noisette. Et pourtant, le Casse-Noisette de Belarbi n’est pas historisant mais apporte à la matière une touche très personnelle.

GI’s et soldats de plomb : Même combat!

A partir de cette authenticité, Belarbi peut se permettre de mélanger les époques, sans perdre le fil. Par exemple en joignant deux GI façon Playmobil (Jérémy Leydier, Timofiy Bykovets) prêtant main forte aux cinq soldats de plomb. Et il peut faire disparaître des éléments clé pour les ressusciter à d’autres moments.

Ici, ni sapin ni ambiance familiale, mais un pensionnat où les enfants passent la serpillère avant d’accrocher une maigre guirlande. Ensuite, on pousse les lits pour danser, et leurs emplacements se démarquent par les traces que le temps a laissées au sol. Dans cette ambiance austère, l’autorité parentale étant déléguée aux dirigeants du pensionnat, la danse devient un acte de désobéissance libératoire.

Cette composante sociale et réaliste va de pair avec un travail très fin sur la psychologique et la dramaturgie, accompagné d’une grande sensibilité et d’une belle souplesse chorégraphique pour chaque personnage. Et l’état de jouet est entré dans tous les corps, qui s’en délectent avec aisance.

Julie Charlet, pantin incandescent

Pour l’essentiel, le spectacle repose sur deux distributions, mais certains rôles (La Haute Surveillante, La Reine des Flocons) sont confiés à trois interprètes et on arrive ainsi à neuf combinaisons différentes. Julie Charlet est une Marie (ou Clara) dotée de capacités physiques presque surnaturelles. Celle qui a triomphé, entre autres, dans le rôle de Giselle, trouve ici un nouveau rôle phare, dans un registre opposé.

En plein vol, elle se maintient dans une articulation de pantin, pourtant d’une dynamique entraînante, et réussit là une fabuleuse synthèse entre romantisme et constructivisme. Son solo (rêvé) avec le Prince (Davit Galstyan, très énergétique mais moins précis et rayonnant) est l’apogée du style chorégraphique de Belarbi, doté d’un phrasé qui recharge la mécanique du ballet en permanence, avec puissance et précision.

Casse-Noisette sans sapin ? Pas tout à fait…

Mais Belarbi n’élimine pas les symboles. Il les déplace, c’est tout. Aussi les sapins ressurgissent de façon inattendue à l’Acte II, dans les costumes des Lutins, tous habillés en sapin. Ils montent la garde au royaume de la Reine des Flocons, incarnée par une Kateryna Shalkina éblouissante et féérique, qui assura trois des neuf soirées dans le rôle, chaque fois après avoir interprété la Haute Surveillante dans toute sa froideur, personnage digne d’une professeure de ballet du XIXe siècle. La belle idée de Belarbi est donc d’annoncer la transformation de Casse-Noisette en Prince par un tour de magie équivalent, côté féminin.

Pensionnat oblige, Marie ne voyage pas seulement avec son Casse-Noisette et futur Prince, mais avec le Club des Cinq Jouets. Et ce n’est pas son frère qui a endommagé le bel objet, mais celui-ci perd un bras dans la  bataille contre les Araignées (qui remplacent les Souris). Non seulement l’idée dramaturgique est bien plus efficace que l’anecdote enfantine du frère jaloux, mais en plus en elle a le mérite d’intégrer l’Acte II dans l’action.

L’Acte II : Une quête !

Les voyages à travers les différents univers et rencontres sont ici motivés par la recherche d’un bras de rechange pour Casse-Noisette. Car dans la lecture de Belarbi, aucun Drosselmeyer n’est là pour jouer au chirurgien. Il y a donc une urgence et une espérance qui tiennent jusqu’au bout alors que tout n’est pas simple lorsque Marie, le Clown Bidibulle (Philippe Solano) etc. se trouvent face à une statue de Commandeur aux accents de Staline.

L’Acte II commence certes par un tableau plutôt fraises Tagada mais dans l’ensemble il y a ici bien moins de folklore et de sucreries que d’habitude, autour des danses espagnole, arabe, chinoise, russe et italienne. Les adultes peuvent même y déceler des rappels de l’état du monde, avec ses guerres et ses risques écologiques.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 26 décembre 2017, Théâtre du Capitole

Lire notre article sur Casse-Noisette « première distribution »

Casse-Noisette

Chorégraphie : Kader Belarbi

Costumes : Philippe Guillotel

Interprètes principaux, deuxième distribution  :

Davit Galstyan : Casse-Noisette, Le Prince

Julie Charlet : Marie, La Princesse

Kateryna Shalkina : La Haute Surveillante, La Reine des Flocons, La Reine des Arachnides

Minoru Kaneko : Drosselmeyer

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