Flashville : Berlioz et la création contemporaine
Lionel Hoche crée le 16 novembre prochain Flashville, une pièce chorégraphiée sur La Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz au Centre des Arts d’Enghien. À cette occasion nous avons rencontré Philippe Hui, le chef d’orchestre qui dirigera cette œuvre et qui officie souvent pour la danse.
L’orchestre-atelier OstinatO qui jouera depuis la fosse d’orchestre la Symphonie Fantastique de Berlioz sera dirigé par le chef Philippe Hui, ravi de participer à cette création à Enghien-les-Bains, la ville de ses années de lycée.Ce chef d’orchestre au parcours exemplaire a déjà fait plusieurs tours du monde. Philippe Hui est intéressé par toutes les expressions de son art, du symphonique au ballet, de l’opéra à l’opérette et à pour objectif de partager avec le plus grand nombre les beautés de ce vaste répertoire.
Il a dirigé récemment l’Orchestre National de Lorraine à l’Opéra-Théâtre de Metz pour les représentations du ballet Le Sacre du printemps (Chorégraphie par Ralf Rossa), l’Orchestre Pasdeloup au Théâtre du Châtelet (Schreker, Le Boléro de Ravel), de l’Orchestre national de l’Opéra de Paris pour les représentations de La Sylphide pendant tout un mois en juin et juillet 2013 (Chorégraphie de Pierre Lacotte).
Entretien avec Philippe Hui
Qui a eu l’idée d’utiliser pour Flashville la Symphonie Fantastique de Berlioz avec l’orchestre ?
C’est vraiment l’idée de départ de Lionel Hoche. Il a approché l’orchestre OstinatO pour construire ce projet avec avec lui. C’est un budget plutôt lourd, normalement, mais grâce au choix de l’orchestre OstinatO, dont les musiciens sont des jeunes en formation cela rend la chose possible.
Que pensez-vous du choix de la musique symphonique ?
Je trouve ça très intéressant. Berlioz a écrit cette œuvre pour raconter une histoire, après avoir beaucoup dit qu’il ne fallait pas être trop descriptif en la jouant. Il n’empêche qu’il a cherché un effet d’orage pour « l’orage », une musique très dansante pour « le Bal » et on entend même le couperet de la guillotine…
Il y a un contraste très fort entre la facture très classique de la musique et la chorégraphie qui est contemporaine…
Pour l’instant, nous en avons beaucoup parlé. Cela signifie que nous sommes en phase, que nous partageons les mêmes ondes. Cet écart m’intéresse car je crois beaucoup à la modernité de toutes les musiques pourvu qu’elle soit de qualité. Beaucoup d’interprètes cherchent aujourd’hui à retrouver une authenticité en utilisant des instruments anciens, des sons d’époque, etc. Mon idée, au contraire, est de penser que Bach, Mozart ou Berlioz restent tout à fait actuels et sont d’une modernité folle. C’est une musique suffisamment universelle pour qu’on puisse la jouer sur n’importe quel instrument d’aujourd’hui, avec la technique actuelle et des usiciens capables de retranscrire le style assez fidèlement tout en étant dans une démarche moderne. La musique de Berlioz est sans doute plus atemporelle que du XIXe siècle. Bien sûr, elle a été écrite à cette époque, mais l’histoire d’un jeune homme amoureux qui a des rêves et des cauchemars n’appartient pas plus à un siècle qu’à un autre. Donc un langage contemporain ne doit pas nous déranger.
Les ajouts de musique électronique vous gênent-ils ?
Lionel avait très peur que je sois frileux sur les options qu’il a prises en particulier sur ces irruptions de musique électronique entre les mouvements. Mais ce sont des possibilités que j’ai déjà rencontrées. Preljocaj par exemple a déjà utilisé ce procédé dans Le Parc. Justement, c’est une façon de dire qu’on est bien dans notre époque, et en ce sens, c’est universel. Ça peut, du coup, toucher les jeunes – y compris ceux qui pensent que tout cela n’est pas fait pour eux. Or ce langage est encore fait pour eux ! De plus, je suis plutôt ravi de revenir à Enghien, c’est dans cette ville que j’étais au lycée.
En tant que chef d’orchestre, vous êtes repéré pour diriger souvent la danse. Est-ce un choix délibéré et pourquoi ?
Ma carrière s’est orientée dans cette direction depuis quelques années, en réalité en fonction de rencontres et d’opportunités. J’ai toujours aimé la scène et je n’ai jamais conçu mon activité sans ce rapport au plateau, opéra ou ballet, d’ailleurs. J’aime la dimension du spectacle, j’aime que la musique raconte aussi une histoire. Je crois également que ça correspond finalement à ma nature. On est moins exposé directement que ne l’est un chef symphonique qui se trouve fatalement au premier plan. Personnellement, je préfère travailler dans une notion d’ensemble, d’en-commun. C’est une question de caractère. En ce qui concerne la danse, elle correspond à un sentiment très profond, la danse me touche énormément, notamment dans son organisation ou sa composition. Rien ne m’enchante plus qu’un corps de ballet à l’unisson. Cela ne produit pas du tout le même effet pour moi si ce sont des chanteurs. Peut-être du fait que dans la danse, quelque chose m’échappe totalement. Je ne suis, par nature, pas très à l’aise avec mon corps et sans doute la danse vient compenser cet impensé là.
J’ai également été poussé par une maîtresse de ballet à une époque lointaine où je dirigeai des opérettes qui m’avait dit : « tu es fait pour diriger la danse. » En fait, tout simplement, j’aime ça.
Ensuite j’ai eu l’occasion de diriger les spectacles de l’École de danse de l’Opéra de Paris, je l’ai vécu comme une chance extraordinaire. Puis j’ai eu cette opportunité inouïe de diriger Orphée et Eurydice chorégraphié par Pina Bausch qui restera un souvenir inoubliable. Ça fait partie des choses irremplaçables. Là, je viens de diriger le Sacre à l’Opéra de Metz… À chaque fois ce sont des expériences formidables. Surtout quand la musique est aussi belle.
C’est plutôt rare, en fait. Les musiques de ballet ne sont pas toujours très intéressantes… Vous avez dirigé Paquita, pour l’Opéra de Paris, par exemple, quel souvenir en gardez-vous ?
C’est vrai que ça n’a rien de miraculeux. Cela dit, Paquita en tournée à Novossibirsk que j’ai dirigé avec l’orchestre local reste un très bon moment. C’était à la fois pittoresque et sympathique cet échange avec les musiciens russes et c’est, de plus, un langage chorégraphique que j’apprécie. Je ne pourrais m’en contenter en permanence, mais de temps en temps, c’est plaisant.
Dirige-t-on différemment un orchestre et une œuvre quand il s’agit de la danser ?
Assurément. On dirige différemment de l’opéra pour une raison très simple : pour l’opéra les musiciens entendent les chanteurs. Donc même si on est là pour faire le lien entre la fosse et le plateau, il y a un organe de contrôle dans chaque oreille d’instrumentiste. Au ballet, ce n’est pas possible, les musiciens ne savent pas ce qui se passe sur scène. Pour le chef, ça nécessite d’être plus précis, plus directif dans ses instructions, ses inclinations, car si l’orchestre n’est pas à l’écoute ou avec les danseurs, c’est la catastrophe assurée. Il faut par exemple, pouvoir récupérer les danseurs à la fin des tours en l’air et les musiciens ne les voient pas. Au fond, cela demande une direction plus technique.
Peut-on dire qu’il y a une évolution dans la façon dont les danseurs sont avec l’orchestre dans le ballet ? J’ai par exemple été très frappée en regardant une vidéo de Rudolf Noureev de voir à quel point il suivait le chef, alors que j’ai plus souvent eu l’impression ces derniers temps de constater que c’est plutôt le chef qui suivait les danseurs…
Malheureusement, vous avez plutôt raison. Comme vous le savez, la danse est un art de la transmission orale. Or il arrive parfois la même chose que pour le bouche à oreille : le message initial est brouillé ou partiel. Vous citiez Paquita, on le danse sensiblement plus lentement qu’il y a 30 ans. Mais c’est aussi parce que la technique a évolué. Les danseurs vont davantage au fond du geste, ils cherchent à aller jusqu’au bout du mouvement et le raffinent au maximum. Du coup, cela impose de fait un ralentissement. Je trouve que c’est parfois dommage car on oublie alors une dimension c’est d’être dans le mouvement, ensemble, pour le même spectacle. Mais les vrais artistes continuent à danser dans la musique et ça fait la différence. J’ai tavaillé maintenant avec beaucoup d’étoiles et si il faut être au service de certains, les plus grands sont vraiment à l’écoute de la musique.
Vous avez des œuvres préférées ?
Le Sacre du printemps, bien sûr. Si je devais le diriger tous les ans, cela ne me dérangerait pas. C’est une œuvre extraordinaire – notamment pour le ballet. J’ai vu de nombreuses versions et c’est toujours formidable. J’aimerais beaucoup faire La Valse de Ravel. C’est une musique fabuleuse mais rare sur scène. J’ai un projet de Daphnis et Chloé mais pas de Valse en vue, c’est dommage.
Et des chorégraphes ?
En tout cas, on ne peut pas être chorégraphe si on n’est pas intéressé par la musique selon moi. C’est pareil pour l’opéra. Si on a un metteur en scène qui connaît la musique on peut bâtir un projet commun. Sinon on est dans la juxtaposition d’éléments ce qui donne rarement un bon résultat. J’adore les chorégraphies de Balanchine pour ça. C’est réglé comme du papier à musique, c’est le cas de le dire ! Un pas, une note, un appui, c’est totalement génial.
Quelle est l’attitude de l’orchestre face à la musique de ballet?
Quand on fait Le Sacre, les musiciens ne rechignent pas à venir jouer. Pour Tchaïkovsky non plus. Quand on donne La Sylphide, vingt représentations de suite, ce n’est pas très intéressant pour les musiciens, du coup, c’est dur. Et quand on pense que cette partition a été écrite quasiment la même année que La Symphonie Fantastique cela paraît incroyable. La Symphonie est un tel chef-d’œuvre d’inventivité, de travail en profondeur sur les timbres, on peut s’amuser, ça mérite d’être peaufiné…
Propos recueillis par Agnès Izrine
Flashville
Pour cette seconde année de résidence au CDA, Lionel Hoche poursuit ses obsessions de « chorégraphe romantique » au goût prononcé pour l’imaginaire fantastique en revisitant un monument de la musique classique. Il s’empare d’une pièce singulière: la Symphonie Fantastique d’Hector Berlioz pour créer Flashville, une chorégraphie irradiée, peuplée de figures doubles et insaisissables. Autour d’un duo amoureux aux couleurs pop se dessine une ville abstraite et changeante, au sein de laquelle se déploie une nuée de danseurs « sans-face ». « Elle », la figure féminine de ce duo, est à l’image des héroïnes du cinéma de David Lynch : multiple et inquiétante. « Lui », dans une quête d’idéal amoureux, poursuit cette chimère, comme une idée fixe.
Dans une époque contemporaine dépourvue d’étrangeté, Lionel Hoche profite de la scène pour exprimer cette poésie du mystère et cette esthétique du bizarre qui lui sont chères.
Entretien avec Lionel Hoche
Extraits d’une discussion* sur l’origine de cette œuvre musicale singulière et sur le désir de Lionel Hoche de se la réapproprier.
Vous questionnez souvent de manière décalée le rapport de l’homme à l’espace physique ou mental qu’il traverse : la ville, l’outre-monde… J’ai l’impression que tu cherches le bizarre ?
En effet, j’ai une fascination pour l’étrange. Je pense que le plateau est l’un des rares lieux où l’on peut encore exprimer du mystérieux. Notre société actuelle est hélas fort dépourvue de cette qualité. Après le bizarre, l’autre ligne qui t’anime en ce moment, depuis notamment la pièce Entrelacs (créée au CDA en 2009), c’est le romantisme. Cette dernière pièce que je prépare, Flashville, est créée sur la Symphonie Fantastique de Berlioz qui est une oeuvre singulière dans l’univers de la musique romantique. A l’âge de 27 ans, Berlioz tombe amoureux d’une actrice anglaise. Il pense alors qu’elle ne voudra pas de lui et par frustration, il écrit cette symphonie qui s’approche pratiquement d’une forme de délire. Poursuivant une « idée fixe », il écrit une forme de scénario qui traverse chaque mouvement de la symphonie. Chaque mouvement voit le retour de cette figure féminine, complètement obsessionnelle, ensorcelante. La rencontre, l’unité de ce duo amoureux, ne se fait jamais.
Parlez-nous de cette figure féminine que l’on retrouve dans Flashville.
Elle peut être vue comme l’incarnation du désir, ou de l’inspiration pour l’artiste. Ce que je trouve intéressant dans cette figure c’est cette dimension cyclique et obsessionnelle, sur des dynamiques musicales à chaque fois renouvelées. Je pars de ce désir de rencontre, de cette « idée fixe » et de la frustration que cela engendre, et qui devient un moteur un peu dingue. Je prends évidemment mes distances avec le programme précis écrit par Berlioz, je ne vais pas le traduire littéralement. Dans les références contemporaines qui me sont venues rapidement à l’esprit, il y a le cinéma de David Lynch, où on trouve souvent ces figures féminines fascinantes, très fortes et qui se métamorphosent. On la retrouve notamment dans Lost Highway où elle est interprétée par la même actrice, et se dédouble au milieu du film pour engendrer une autre. Verlaine aussi, à son époque évoque ce genre de problématique. On est à la fois dans une atmosphère de fascination et d’inquiétude. J’aime assez la façon dont Lynch joue avec ces personnages qui sont souvent à tiroirs. Dans Flashville, l’idée fixe sera interprétée à tour de rôle par différentes danseuses. Ainsi, « Elle » revient et se renouvelle toujours, et l’histoire recommence avec un léger décalage. Le personnage masculin, quant à lui, coincé dans son obsession d’espace-temps personnel et interne, ne change pas, n’évolue pas.
Et la question de la ville, de la construction d’un univers autour du mystère de ce désir ?
Dans la pièce, je veux suggérer l’image d’une ville en mouvement, d’une force organique, qui avale, qui efface, qui encombre et qui ouvre. C’est un peu l’idée d’une ville imaginaire ou d’une ville en creux, en effacement. La scénographie sera faite de volumes géométriques creux et mobiles qui peuvent suggérer des espaces abstraits, comme aussi des habitacles, des espaces intimes. Cela aide aussi à poser des zooms ou des focus sur certaines situations, pour venir faire du gros plan ou s’éloigner de la scène, de manière un peu cinématographique.
* extraits d’une discussion publique animée par Mié Coquempot et programmée dans le cadre de Faits& Gestes, soirée introductive à la résidence de la cie Lionel Hoche, le 23 mars 2013.
FLASHVILLE pour 10 danseurs et un Orchestre Symphonique (Création 2013)
Musique : La Symphonie Fantastique de Hector BERLIOZ
Interprétée par l’ Atelier-Orchestre OstinatO, sous la direction de Philippe HUI
Chorégraphie : Lionel HOCHE
REPRESENTATIONS :
Vendredi 15 novembre à 14h30 : Jeune public
Samedi 16 novembre 2013 à 20h30 : Tout public
Au Centre des Arts d’Enghien les Bains
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