Porto, new place to be
Le festival Dias da dança vient de connaître sa deuxième édition dans la grande et magnifique cité du nord du Portugal. A la fois international, et très soucieux d'encourager les artistes du cru.
13 mai 2017 : une ferveur populaire empreint la gigantesque salle rétro, inimitable, du Coliseo de Porto. Plus de deux mille cinq cents spectateurs s'enthousiasment pour Celui qui tombe, la pièce de Yoann Bourgeois. L'émotion est si prégnante que le visiteur français a la sensation de revivre l'époque enivrante des conquêtes festivalières de la Nouvelle danse française, vers la fin des années 80 du siècle dernier.
Ainsi se concluait la deuxième édition du festival Dias de dança. Alain Platel, Maguy Marin, Rachid Ouramdane, Noé Soulier, y étaient d'autres noms attestant d'une ambition internationale. En 2013, Rui Moreira devenait le maire de la grande cité industrieuse du nord du Portugal, agglomération d'un million et demi d'habitants à trois heures de route de Lisbonne. Il n'est pas un artiste, pas un observateur, qui ne signale cette élection comme un tournant, du tout au tout.
Jeune et prospère chef d'entreprise, ce premier magistrat, quoique soutenu par la droite, s'est annoncé en indépendant, pour évincer un prédécesseur conservateur et populiste. On dépeint ce Rui Moreira en mix d'Emmanuel Macron et de Georges Frêche (ex maire de Montpellier, du moins pour les bonnes années). Il conduit un aggiornamento de sa ville, dont la culture est l'étendard.
On pourrait discuter la trilogie qui combine compagnies aériennes low cost, Airnbnb généralisé et communication rutilante, pour propulser Porto dans l'arène des métropoles qui comptent dans la compétition mondialisée. Il ne fait plus bon être pauvre pour espérer se loger en centre ville, somptueux mais laissé jusque là à l'abandon. Le modèle appliqué de tourisme culturel, est de ceux qui ont fini par révolter d'autres populations, par exemple à Barcelone en Espagne.
« Mais à 42 ans, c'est la première fois que je peux développer et montrer une pièce coproduite dans ma propre ville » atteste la chorégraphe Joana Von Mayer Trindade. « Nous sortons d'années sinistrées, où la ville avait complètement divorcé de sa communauté artistique. Il a fallu s'organiser souterrainement, sans aucun moyen. Même sans être dupe des intérêts poursuivis par la nouvelle municipalité, comment ne pas être motivés par cette nouvelle donne, où l'on se sent enfin reconnu? » poursuit cette artiste.
Pendant toutes les années noires, la Fundaçao Serralves fut le seul havre des expressions contemporaines. Cristina Grande, sa programmatrice pour les arts vivants, n'est que trop heureuse « qu'une confiance soit revenue dans toute une ville, qui aime ses artistes, et qu'aiment les artistes. L'ambiance en est vraiment transformée ». Elle souligne la singularité de sa démarche, nourrie du contexte muséal et plasticien ; mais n'est en rien embarrassée d'avoir à composer, désormais, avec une dizaine d'autres établissements engagés dans le nouveau festival de danse.
Tiago Guedes, 38 ans, a remisé sa vocation jadis reconnue de chorégraphe de la nouvelle vague portuguaise, pour devenir le fer de lance de cette offensive culturelle. Voici trois ans qu'il a pris la tête du Théâtre municipal, abandonné pendant une décennie à des promoteurs privés du spectacle musical. Et deux ans qu'il lançait le nouveau festival. Son budget est de quatre millions d'euros – dont la moitié pour l'artistique – couvrant la saison pérenne, et la session festivalière.
Avec beaucoup d'honnêteté, cet artiste qui a tâté du succès international en son temps, explique à présent comment il s'est senti « dépassé par cet emballement alors [qu'il n'était] pas sûr que ses bases artistiques étaient si solides ». Alors, « dans un Portugal où tout reste très ouvert », il a reconverti ses préoccupations d'artistes « dans la conduite d'actions qui permettent à d'autres artistes de se développer ». C'est une question qui redouble d'intensité lorsqu'il constate que « pour la prochaine plateforme professionnelle de la danse portugaise, début juin, la sélection ne présente que des artistes de Lisbonne, en ignorant complètement Porto ». Voilà qui rappelerait un peu la relation entre Marseille et Paris…
Ainsi, pour les dernières soirées de Dias da dança, la création de Jonathan Uliel Saldanha était l'un des événements très attendus. Il faut imaginer ça : chaque soir, deux cent cinquante spectateurs prenaient place dans les galeries du pourtour de la cage de scène du Théâtre municipal. A des hauteurs équivalentes à un immeuble de sept étages, ce sont des endroits auxquels seuls accèdent les techniciens de scène en temps normal. C'est depuis ces points culminants qu'on avait vue, en plongée vertigineuse, sur le spectacle O Poço, donné sur le plateau, tout en bas.
Hélas, Saldanha n'est pas un chorégraphe, mais un plasticien scénographe, également musicien électronique. Il n'aura guère su pousser son talent au-delà d'un mélange de sons et lumières et d'un remake poussif de cirque Archaos. Il n'empêche. Cette tentative délirante méritait d'être mentionnée.
C'est peu de dire que la pièce A tundra, donnée devant cinquante personnes en plein après-midi de jour férié dans un théâtre de banlieue éloignée, a résonné tout à l'inverse.
A tundra est la dernière création de Luis Guerra – qu'on connaît assez bien, par ailleurs, comme partenaire de la chorégraphe Tanha Carvalho. Un son de blizzard incessant baigne cette pièce hallucinante. Quatre garçons sont animés d'une danse sécante, pulsive, obsessionnelle, endiablée. Deux en front de scène reproduisent les gestes des deux autres qui sont en fond, dans une étrange correspondance. Ils se déplacent à peine. Mais cette avancée minutieuse détruit inexorablement un merveilleux motif de mosaïque disposé au sol, qu'on suppose avoir réclamé des heures pour son installation, et qui reproduit le dessin géométrique cirstallin et fascinant, d'un grain de neige vu au microscope, ici porté à l'échelle d'un plateau de théâtre.
Entre les deux garçons du fond a pris place une dame fort âgée – la grand-mère du chorégraphe, apprendra-t-on. Devant un lutrin, cette femme paraît lire des partitions de notations de gestes, pour les exécuter. A l'inverse de ses diables de partenaires, qui semblent lire par-dessus son épaule, les mouvments de l'aïeule sont aussi amples que rares, lents, prudemment consommés, étrangelent distillés dans l'espace. On les imaginerait remonter de la nuit des temps.
Autant dire qu'A tundra évoque et tamise des portées d'espace et de temps incommensurables, quoique condensées en situations restreinte. Cela avec une obstination qui clame des défis. On est consterné que si peu de regards – même pro, si pro – se rendent compte que ce projet incensé recèle des qualités d'audace exceptionnelles.
Tout autant disposés aux angles d'un carré, les interprètes de Da insaciabilidade no caso ao mesmo tempo un milagre n'ont pas moins intrigué. A l'image de son titre, cette pièce fleure le concept, qu'affectionnent ses auteurs : Joana Von Mayer Trindade – qu'on se plaît à reconnaître en ancienne étudiante du CNDC d'Angers, d'époque Emmanuelle Huyny, alors influente en terre lisutanienne – et son partenaire Hugo Calhim Critsivão, plutôt venu du théâtre expérimental du Porto underground, pour déborder dans la danse.
Chez eux, on sent la marque toujours active de leur fréquentation, à la source, du butô d'un Min Tanaka resté intransigeant. Derrière un emballage corporel expressionniste, le mouvement est troublant, qui s'abstient de tout déploiement en trajectoire spectaculaire, mais en même temps se consume d'énergie farouche, en profondeur, comme pour creuser sur place. C'est intransigeant. Intrigant. Et peu à peu enivrant.
Une toute autre atmosphère émanait de l'essai de Marta Cerqueira. Son expérimentation in situ est pleine d'impertinence légère. Sa gestuelle joue de l'écoute, ou de la coupure du son, à la façon d'un impact ressenti, au point qu'on retrouve du Charlie Chaplin dans sa texture volubile et fantasque. Cela se donnait sur les marches d'un magnifique couvent baroque, juste à l'abri des hordes de touristes qui hantent les chais de l'enivrant breuvage qui se vinifie sur les bords du Douro.
A deux pas aussi du lieu de spectacle d'une école privée de danse – il n'y a rien d'autre en ces parages – qui montrait un extraordinaire talent, goût du risque et de la belle exécution. Mais cela dénué d'un réel propos artistique. On le mentionne pour suugérer tout ce qui reste à inventer à Porto – et le festival explore tous les partenariats et workshops possibles à cet égard. Car d'une ville aussi grandiose qu'émouvante en site et en patrimoine, très significative des mutations métropolitaines contemporaines, on espère l'élaboration d'un propos aussi profond que singulier. Non une simple reconduction des standards de la technocratie européenne du tourisme culturel.
Gérard Mayen
Vu le 13 mai 2017 à Porto, au Festival Diaz da dança
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