Farid Berki : « La diversité est nécessaire ! »
Pour fêter les 25 ans du festival Suresnes cités danse, il a réussi le pari un peu fou de réunir 25 danseurs hip hop sur la scène du théâtre Jean Vilar. Nous avons recueilli les propos de Farid Berki, figure de référence du hip hop made in France.
La soirée d’ouverture
« J’étais présent dans la salle dès la première édition de Suresnes cités danse, en 1993. J’étais venu attiré par Savion Glover, et j’y ai rencontré Doug Elkins, qui l’année suivante m’a engagé sur l’une de ses créations. Ensuite, j’ai régulièrement collaboré au festival, en tant qu’interprète ou comme chorégraphe. Comme maître d’œuvre de cette soirée anniversaire, je souhaitais donc rendre hommage aux trois générations de danseurs qui ont fait le festival. Côté seniors, je pense par exemple à Fouad Hammani, qui fut à l’origine de compagnies ‘historiques’ telles que Macadam et est aujourd’hui l’assistant de José Montalvo, ou à David Mathor, rencontré à Suresnes il y a vingt-deux ans et qui a dansé avec moi dans les spectacles de Doug Elkins. Chez les ‘intermédiaires’, on peut citer Sandrine Monar, applaudie dans le Barbe-Neige de Laura Scozzi, ou Bernard Wayack Pambé, interprète dans ma compagnie et dans celle de Dominique Rebaud. Et parmi les plus jeunes, il y a François Lamargot, aux talents multiples, Valentin Loval, champion de battles…»
Un travail d’équipe
« Le résultat a été au-delà de mes espérances. En cinq jours, nous avons relevé le défi grâce à un casting de rêve, et pas seulement artistique. Je tiens à souligner combien il est important, pour un chorégraphe, d’être soutenu et accompagné dans une création comme je l’ai été par Olivier Meyer, directeur du Théâtre Jean Vilar. Pour préparer cette soirée, nous avons travaillé ensemble pendant trois mois, main dans la main. Nous avons eu de longs moments d’échanges et j’ai été très vigilant sur la composition de l’équipe technique. Derrière, toute l’équipe du théâtre s’est investie. Ce sont de belles personnes.
L’esprit et la lettre
« Dans ce spectacle, j’ai voulu aussi rendre hommage aux chorégraphes qui sont venus monter un spectacle à Suresnes et qui ont marqué son histoire. Pendant des semaines, j’ai visionné des heures de captations sur vingt-cinq ans de programmes. Au début, je prenais des notes, pour faire des citations des œuvres - de José Montalvo, Pierre Rigal, Andrew Skeel, Mourad Merzouki, Nathalie Pernette, Laura Scozzi… -, puis je me suis laissé immerger. J’en suis ressorti avec des clins d’œil plutôt que des extraits : un accessoire, un geste, un élément de jeu, comme cette mini-scène de boîte de nuit qui évoque le voguing des années quatre-vingts. J’ai également choisi une palette de registres musicaux représentatifs de l’ouverture du festival. L’ensemble, sans prétendre à l’exhaustivité, était fidèle à l’esprit de Suresnes.»
25 ans d’évolution
« Au départ, le hip hop était une danse de mecs, axée sur la performance physique. Vingt-cinq ans plus tard, il s’est féminisé, ouvert. Aujourd’hui, il y a des danseurs, des auteurs, des chorégraphes qui ont chacun une vraie signature, et des compositeurs créant spécifiquement pour le hip hop. Les interprètes, hommes et femmes, sont polyvalents. Ils passent du break à la danse debout, maîtrisent tous les styles et possèdent une large palette de registres. Ils se sont aussi affranchis du carcan identitaire. Même si le hip hop est encore en partie une danse engagée, politique, il est à présent avant tout une danse, plutôt qu’un mouvement de revendication sociale.»
Reconnaissance acquise ?
« C’est un combat de tous les jours et qui n’est pas encore définitivement gagné. Paradoxalement, l’attribution de deux CCN, à Mourad Merzouki (Créteil) et à Kader Attou (La Rochelle), a eu chez certains programmateurs un effet pervers : lorsque de jeunes compagnies viennent les voir avec des projets hip hop, ils les renvoient d’office vers ces deux structures, qui du coup se retrouvent inondées de propositions. Comme si il n’y avait que là que l’on devait accompagner le hip hop… Dans le même temps, au moment de faire leur saison, ces mêmes programmateurs ne misent que sur les ‘valeurs sûres’, les grosses productions avec lesquelles ils sont certains de remplir leurs salles. Du coup, il y a moins d’audace, moins de découvertes, on cherche plus à reconnaître qu’à faire connaître. Résultat, dans le hip hop comme dans le monde actuel, il y a des gros et des petits, mais très peu de classe moyenne.»
Le futur du hip hop
« Il faut partout encore plus de diversité. Non seulement dans les CCN, mais à l’intérieur du milieu hip hop lui-même, dans ses lieux, ses esthétiques, ses pratiques. Actuellement, il y a par exemple une inflation de battles. Chaque jour, plusieurs dizaines sont programmées aux quatre coins de la France et les danseurs ne savent plus où donner de la tête. Il faudrait aussi que la danse hip hop fasse réellement partie du quotidien culturel des Français. Que l’on y pense non comme une case à cocher mais comme à un élément naturellement présent dans toute la société. Dans une période tendue et crispée comme la nôtre, marquée par une angoisse générale, l’énergie du hip hop est plus que jamais nécessaire. C’est pour cela aussi que cette soirée des 25 ans se devait d’être joyeuse, afin de démarrer l’année d’un bon pied. Pour la dernière représentation dimanche 8, toute la salle était debout et au moment du final, même Olivier Meyer a esquissé quelques pas de danse !»
Actualités à venir…
« Samedi 14 janvier, ma compagnie Melting Spot se produit sur la scène de l’Auditorium du Nouveau Siècle, à Lille avec trente musiciens de l’Orchestre national (ONL) pour une performance baptisée Kaléidoscope. Il y aura six danseurs et aux platines, mon frère Malik Berki, qui interviendra en direct sur un pot-pourri de symphonies de Mozart et de Haydn. Ce spectacle festif est un préambule à un projet plus ambitieux dans les mois à venir, toujours avec l’ONL. Ensuite, du 3 au 5 février je reviens clore Suresnes cités danse avec L’Oiseau de feu. J’ai créé cette pièce sur la musique de Stravinski en 2015 à Lille, avec les musiciens de l’ONL et dix danseurs de cette nouvelle génération représentée lors de la soirée des 25 ans. Mais la première a eu lieu le soir même des attentats de novembre et pour cette raison, elle a été très peu vue. C’est l’occasion d’une séance de rattrapage ! »
Propos recueillis par Isabelle Calabre
Kaléidoscope : Le 14 janvier à 16 h à l'Auditorium du Nouveau Siècle, Lille
Avec l Orchestre national de Lille
L'Oiseau de feu:
- Suresnes Cité Danse : le 3 Février à 21h, le 4 Février à 21h, le 5 Février à 17h.
- Le Colisée de Roubaix : le 10 Février à 20h30
- Festival Cadences d' Arcachon : le 22 Septembre à 21h.
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