Entretien : Paulo Ribeiro
Du 7 au 9 décembre 2016 le chorégraphe portugais fête les 20 ans de sa compagnie à Chaillot Théâtre national de la danse et sa nomination à la tête de la Compagnie nationale de danse du Portugal.
DCH : La Fête (de l’insignifiance) est une sorte de cadeau que vous offrez au public pour célébrer les vingt ans de votre compagnie…
Paulo Ribeiro : En fait, c’est une coïncidence. Je m’en suis aperçu après avoir créé la pièce. Mais je voulais réaliser une chorégraphie livre, joyeuse, enjouée. Je me suis rendu compte après, en discutant avec des journalistes, qu’il existait en ce moment un courant en Europe allant dans ce sens, avec des pièces plus énergiques, plus optimistes.
Il se trouve que La Fête (de l’insignifiance) a été créée le 13 novembre 2015 à Lisbonne, le jour même de la tragédie du Bataclan. C’était terrible et curieux dans mon parcours, car juste avant, j’étais sur des pièces plus grises, plus pessimistes, plus mélancoliques, inspirées par le cinéaste Ingmar Bergman et ça m’a donné d’autant plus l’envie de célébrer l’avenir, la vie et non plus le passé.
C’est également devenu un hommage à un musicien brésilien incroyable, Tom Zé, qui est un peu plus âgé que Tom Jobim ou Chico Buarque, mais qui a toujours été un peu marginalisé alors qu’il est génial, il continue à se produire en concert alors qu’il a 82 ou 83 ans. Il est très créatif, très généreux, très particulier. Donc il y a cette relation à la chaleur. Et j’ai ajouté la musique du compositeur comtemporain Matthew Shlomowitz, et deux musiciens sur scène Miquel Bernat et Miguel Moreira. Donc il y a cette musique populaire brésilienne et puis des instants plus épais, plus graves, plus sinueux, plus secrets, qui font dériver la pièce vers quelque chose de plus expérimental.
DCH : Pourquoi ce terme : « de l’insignifiance » ?
Paulo Ribeiro : Malheureusement, c’est la condition humaine. Quand on voit où va le monde au niveau politique, que ce soit aux Etats-Unis ou en Europe, c’est d’une insignifiance très dangereuse, très effrayante. C’est tragi-comique. Mais il paraît que le monde vit malgré tout comme ça, qu’il n’arrive pas à vivre de manière un peu plus « signifiante ». Pour moi, c’est ça que ça évoque. Et qu’il faut continuer à célébrer la vie en dansant.
DCH : Ce n’est pas très festif…
Paulo Ribeiro : Eh bien voilà !
DCH : Vous avez aussi une autre raison de vous réjouir, vous venez d’être nommé à la direction de la Compagnie de danse du Portugal….
Paulo Ribeiro : En effet. J’arrive à Paris à un virage de ma carrière ! Je vais passer de dix à soixante-quinze danseurs !
DCH : Cela implique-t-il que vous abandonniez votre compagnie ?
Paulo Ribeiro : Non, j’ai déjà prévu une création avec les danseurs de ma compagnie en 2017. En tant que directeur artistique de la Compagnie nationale du Portugal, je vais surtout inviter des chorégraphes et diffuser le répertoire qui comprend un peu de classique mais aussi Forsythe, Akram Khan ou Anne Teresa De Keersmaeker, entre autres… donc des possibilités très variées.
DCH : Qu’est-ce qui vous a attiré pour postuler à la tête d’une grande compagnie ?
Paulo Ribeiro : J’ai déjà vécu une expérience similaire quand j’ai dirigé le Ballet Gulbenkian (entre 2003 et 2005 NDLR). Au Portugal, personne n’arrive à avoir une compagnie fixe, il n’y a aucun chorégraphe indépendant qui peut engager ne serait-ce que trois ou quatre danseurs à l’année. Donc on fonctionne sur des projets et on tourne ce qu’on peut. C’est toujours très difficile et très éphémère. Par exemple, pour La Fête (de l’insignifiance), j’ai dix formidables danseurs mais c’est très compliqué de les réunir ensemble car ils sont obligés de travailler ailleurs. J’ai déjà été obligé d’annuler des dates de spectacle pour cette raison. Donc ce qui m’attire dans le fait de diriger la Compagnie nationale, ce n’est pas d’avoir autant de danseurs mais de les avoir tout le temps. De ne pas être sans arrêt confronté à cette forme d’impossibilité qui empêche de prévoir des créations conséquentes. Ça me permet d’avoir un autre regard, de travailler autrement, avec des groupes diversifiés. De plus, quand on a un nombre important de danseurs on peut envisager toutes sortes de choses : avoir certains danseurs plus techniques, d’autres davantage dans la charge émotionnelle, etc. On peut monter des pièces de groupes. Par exemple, j’ai bien aimé reprendre White Feeling et Organic Beat, créés au Gulbenkian pour le Ballet de Lorraine avec trente danseurs.
DCH : Vous parliez d’inviter des chorégraphes, est-ce aussi une façon de modeler, ou d’entretenir la compagnie à travers un nouveau répertoire ?
Paulo Ribeiro : Oui, bien sûr, on peut créer du répertoire, aller de l’avant, modeler un outil sérieux et important pour des chorégraphes qui sont dans la recherche, ou sont en train de se construire. Ce qui me paraît important également c’est d’inscrire le répertoire dans l’Histoire de la danse. Il y a des pièces charnières, par exemple, il y a des pièces magnifiques des années 60 à 90 que l’on oublie, qu’on laisse trop souvent de côté. Je pense que l’on a une responsabilité historique, dans le sens où l’on peut visiter, revoir, repenser quelle œuvre nous a permis d’ouvrir une nouvelle porte de la danse à un moment donné, ou d’élargir nos horizons chorégraphiques. Il faut opérer un compromis important entre le passé récent et l’avenir pour entretenir une compagnie comme celle-là.
DCH : Quelle est, selon vous, la caractéristique principale de la Compagnie national du Portugal ?
Paulo Ribeiro : La caractéristique de cette compagnie c’est d’être dans l’air du temps. De déployer une virtuosité non pas au sens technique du terme, au sens formel, mais surtout dans leur capacité à être versatiles, à avoir une conscience de soi qui leur permet de danser des chorégraphies très différentes. Ils ont une ouverture d’esprit à tous les langages. J’hérite d’une très bonne direction artistique et je pense qu’elle a préparé les danseurs à toutes sortes de défis.
Propos recueillis par Agnès Izrine
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