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« Trois Grandes Fugues », Ballet de l’Opéra de Lyon

Quand trois chorégraphes majeures de la scène contemporaine sont réunies autour d’une seule partition, cela donne… un des programmes les plus excitants de la saison.

Grâces soient donc rendues à Yorgos Loukos, directeur du Ballet de l’Opéra de Lyon, d’avoir demandé à Lucinda Childs d’ajouter sa version de la Grande Fugue de Beethoven, à celles de Maguy Marin et Anne Teresa De Keersmaeker déjà au répertoire de sa compagnie. Il est passionnant, en effet, de confronter au cours d’une même soirée les façons dont chacune d’elles s’empare de cette redoutable écriture contrapontique. Jusqu’à finalement répondre, dans leur diversité, à la définition donnée de la Grande Fugue par son auteur : « tantôt libre, tantôt recherché ».

« Recherchée » est la Grande Fugue de Lucinda Childs - donnée ici en création mondiale -, au point d’ailleurs d’en perdre une partie de sa chair. L’Américaine, qui a « utilisé l’œuvre de Beethoven de façon abstraite, comme source d’inspiration » a conçu un contrepoint gestuel raffiné où chaque phrase musicale - dans l’enregistrement de l’Orchestre de cordes de l’Opéra de Lyon - correspond à une phrase de danse.

Son ballet, interprété par 12 danseurs hommes et femmes à la suprême élégance, se déploie dans le bel espace arachnéen aux lumières grises, bleues et mauves imaginé par Dominique Drillot. De la part de celle qui fut l’une des figures de la post-modern dance, ce langage curieusement néo-classique, avec ses déboulés ou ses fouettés arabesque, peut surprendre. On y retrouve toutefois un sens aigu de la géométrie, une fluidité des déplacements et une légèreté mystérieuse qui n’appartiennent qu’à leur créatrice.

Les deux pièces suivantes, elles, sont délibérément « libres ». Dans l’énergie pure du mouvement, pour Anne Teresa de Keersmaeker, dans une théâtralité à fleur de corps, pour Maguy Marin.

Chez la première, six hommes et deux femmes, identiquement vêtus au masculin d’un pantalon noir et d’une chemise blanche, enchaînent sans reprendre souffle une série de torsions, chutes, roulades au sol et sauts torsadés, portés par une dynamique jubilatoire. En écho, ou à l’unisson. Pas d’esthétisme, ici, mais une affirmation violente de la liberté et de la puissance des corps, rythmée par la structure de la fugue. Il faut souligner le fait que certain(s)/es des interprètes de la pièce dansent également dans celle de Lucinda Childs, ce qui, compte tenu du grand écart stylistique entre les deux lectures, relève de la prouesse.

Couronnement de la soirée, la Grosse Fugue de Maguy Marin est un choc. Ses quatre danseuses vêtues de rouge – le rouge de la passion, de la colère, de la folie – vont jusqu’au bout d’elles-mêmes dans un épuisement programmé de toutes les émotions. Incontestablement, sur le plateau nu transformé en arène ‘à la vie, à la mort’, il se passe quelque chose d’une intensité inouïe, à la fois primitive et désespérée. « C’est alors qu’on a envie de courir éperdument à perdre haleine, pour vivre chaque instant comme des derniers instants », écrit Maguy Marin, à propos de cette pièce créée en 2001. Chaque mouvement est un arrachement, ou un recommencement. Et la vie est un combat.

Isabelle Calabre

Du 17 au 25 novembre à l’Opéra de Lyon, et en tournée.

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