Lia Rodrigues : Retour aux origines
Para que o céu nao caia : Lia Rodrigues continue sur sa lancée, Pour que le ciel ne tombe pas. Précédemment, ses créations Pororoca, Piracema et Pindorama, étaient placées sous influence de la pensée des Amérindiens de la jungle amazonienne. Depuis Pindorama, elle renoue par ailleurs avec son ADN artistique, autrement dit, avec Ce dont nous sommes faits, la pièce qui l’avait révélée en 2000, en faisant tomber les murs entre spectateurs et interprètes. Dans Pindorama, et de nouveau dans Para que..., le public est libre de se déplacer dans un espace nu, surface unique sans aucune séparation entre les uns et les autres.
Ils entrent, se dénudent, s’alignent face à nous et soufflent dans leur mains, d’où partent des nuages de poudre. Des trois envolées, la première est noire, à l’odeur délicate, car faite de café moulu. Si ce dernier n’a pas l’habitude de se transformer en seconde peau, il colle ici sur les corps dénudés telle une seconde peau, comme si les interprètes s’étaient transformés en créatures de la forêt. On sait l’importance du café dans la colonisation, mais ici il revêt les corps telle une fourrure et confère aux interprètes une touche d’animalité au trouble fort délicat.
Dans la noblesse et la pureté de leur nudité, ces êtres s’avancent vers les spectateurs assis, agenouillés ou debout, pour les affronter, les yeux dans les yeux, dans un état de calme infini. Mais dans sa détermination, leur quiétude inquiète. Par la force de son silence, elle est porteuse d’interrogations aussi bouleversantes que le regard d’un animal, dans sa fragilité et son innocence. Et même si l’on sait que les Amérindiens sont tout sauf poilus, cette rencontre laisse entrevoir ce qu’ont dû ressentir les explorateurs en rencontrant les peuples de la forêt.
Aujourd’hui, après avoir été décimés et colonisés, les Amérindiens ont leur mot à dire, dans ce qui est en train de se jouer sur la terre. « Le ciel est en train de nous tomber dessus », dit Rodrigues en se référant à l’avertissement de Davi Kopenawa, Shaman du peuple Yanomami dans la forêt amazonienne: « Il existe un seul ciel et l’on doit le préserver, car s’il tombe malade, tout disparaîtra. » Et tant que ce message passe par les présences et les regards, Para que… fait merveille. Mais la troupe se met vite à gémir, à crier sa souffrance, à hurler et donc à tomber dans la platitude.
L’avantage du shaman authentique est de pouvoir danser son message, voire de le marteler par les pieds, tout en restant dans son rôle. En danse contemporaine, c’est un exercice bien plus périlleux. « Nous dansons sur le rythme des machines et des voitures, des hélicoptères », prévient Rodrigues, car « nous dansons comme une offrande et comme un hommage, pour ne pas disparaître. »
De la partie offrande émane un trouble indicible, mais la partie machine et hélicoptères qui regorge d’unissons, d’éléments de jump style, de haka et autres cérémonies, prend une allure trop franchement didactique. Ensemble, ils frappent du pied comme pour faire éclater la voûte céleste, au lieu de la soutenir. Malgré le déluge sonore, malgré le rythme soutenu, l’intensité dramatique s’évapore comme les nuages de farine ou de curcuma.
Pendant longtemps le public reste assis en cercle pour regarder ces joutes, sans véritable interaction. C’est pourtant la rencontre entre danseurs et spectateurs que Rodrigues entendait creuser, recherche qui enchante le premier tableau. Mais la suite retombe loin derrière la richesse vécue dans Pindorama, où l’eau était omniprésente. Il faut aussi questionner le découpage en tableaux qui fait apparaître l’écriture de la metteure en scène et restaure cette situation spectaculaire que Rodrigues cherche à contourner.
La poudre est une belle idée permettant de poursuivre sur la route du retour aux sources. Elle enchante le prologue et l’épilogue, qui à eux seuls font de Para que… une expérience inoubliable. Mais la partie principale, qui devait être la clé de voûte, s’effondre. Et si, pour faire tenir le ciel en sa place sans qu’il tombe davantage malade, on développait la poésie et la lévitation ?
Thomas Hahn
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