Le danseur est un sportif comme les autres !
Ils ont pour outil de travail leur propre corps, vont au bout de l’effort et sont applaudis par un public enthousiaste. Les danseurs ? Oui, mais aussi les sportifs. Si les uns et les autres se sont longtemps ignorés, aujourd’hui des passerelles se tendent entre les deux mondes.
« Le danseur est un athlète qui s’ignore », affirme d’emblée Aurélie Juret, médecin du sport et intervenante auprès de Malandain Ballet Biarritz. Traduction : c’est un sportif de haut niveau qui, au lieu de se voir comme tel, se considère uniquement comme un artiste. D’où une méconnaissance générale, chez lui, de tout ce qui touche à l’anatomie fonctionnelle, et un comportement lié à la loi sacro-sainte selon laquelle « the show must go on ». Là où l’athlète au corps souffrant cesse tout mouvement et consulte,le danseur continue quoi qu’il arrive, au mépris des douleurs. Danser trois mois sur une fracture de fatigue est monnaie courante, alors qu’une prise en charge en amont de la lésion aurait permis de préserver la zone atteinte, sans pour autant contraindre l’artiste à l’arrêt. Car c’est bien là que le bât blesse. « Le pire, pour eux, n’est pas la souffrance mais le fait de ne pas pouvoir être distribué » déplore Aurélie Juret. «Tant que ça roule à peu près, tant qu’ils peuvent encore être sur scène, même au prix de grandes douleurs, ils ne s’arrêtent pas ».
Harlequin partenaire du Ballet de Marseille
Une prise de conscience était nécessaire. Elle s’amorce petit à petit, avec le soutien actif de Harlequin Floors. Ainsi, depuis le début de l’année 2016, le Ballet national de Marseille a mis en place un Parcours Santé dont Harlequin est le sponsor. Harald Krytinar, ex danseur, en est le chef de projet. « Dans le milieu, il est souvent mal vu de mêler danse et sport, comme si le second terme dégradait le premier. Mais pour moi, le rapprochement est évident. Les uns et les autres utilisent leur corps de manière professionnelle, à la recherche d’une certaine performance et dans un contexte imposé. Le calendrier des représentations, à l’instar de celui des matchs ou des compétitions, oblige l’artiste à être au top de sa forme le jour J, même si la date ne correspond pas à son propre timing intérieur. »
D’où l’idée de mettre en commun les connaissances des uns et des autres afin d’optimiser les démarches de prévention, de suivi et de récupération. La première tâche est non pas physique, mais mentale. Elle consiste à faire accepter aux danseurs l’idée qu’il existe des techniques de préparation ou d’évaluation issues d’un autre univers que le leur, qui leur permettent de développer leurs capacités et d’écouter leurs besoins sans pour autant être dans le jugement. Une mini - révolution pour ceux qui, dès l’enfance, sont habitués à être en permanence sous le regard critique d’un professeur ou le reflet d’un miroir. Autre idée forte : chacun a un profil spécifique, et un même exercice s’aborde différemment selon les capacités des uns ou des autres.
La démarche a déjà été adoptée par la plupart des sportifs de haut niveau, comme l’explique Harald : « Grâce à nos partenariats avec l’Institut du mouvement et de l’appareil locomoteur, avec l’Institut Technosport (un département de l’université d’Aix-Marseille), et avec le Centre hospitalier universitaire de Marseille, nous pouvons nous inspirer de leurs avancées dans ces domaines. Auparavant, chez les cyclistes par exemple, toutes les préparations étaient collectives : ils sont depuis passés avec profit à l’entraînement individualisé. Dans cet esprit, notre kinésithérapeute assure déjà des trainings personnalisés, en attendant l’instauration prochaine de véritables plans d’entraînement individuels auxquels collaborent aussi le professeur de Pilates et le nutritionniste ». Exemple ? Alors que tel danseur, après une représentation particulièrement intense, récupérera mieux en avalant une solide collation, tel autre sera nettement plus efficace après un sommeil réparateur. Là encore, c’est un changement total d’état d’esprit, qui va à l’encontre des principes d’homogénéité absolue régissant les corps de ballet.
Pour sensibiliser les danseurs à leur propre fonctionnement corporel, il est indispensable de sortir de la logique du ‘plus on en fait mieux c’est’. Quatre-vingts pour cent des accidents étant provoqués par des pathologies chroniques, savoir les éviter - et garantir ainsi la pérennité des répétitions et des représentations - devient prioritaire. Cela passe par le développement spécifique de certaines capacités musculaires ou respiratoires. « Il est nécessaire de travailler l’endurance du système cardio-vasculaire », insiste Aurélie Juret. « Pour cela, il faut prévoir un travail régulier de vélo, de natation ou de marche nordique pendant quarante-cinq minutes à une heure, à un bon rythme mais sans être essoufflé. Ainsi, on lutte contre le stress oxydatif, responsable de la plupart des blessures de fatigue».
Une expérience partagée
Dans ses rêves, Harald Krytinar voit plus loin encore. Jusqu’à imaginer une représentation du Ballet dans ce gymnase marseillais qui sert de lieu d’entraînement aux handballeurs, et où des capteurs connectés mesurent en temps réel les performances, les accélérations et les variations de rythme cardiaque…
En attendant, considérer le danseur comme un sportif implique, selon le mot du Dr Aurélie Juret, « toute une éducation à faire ». Qui concerne heureusement de plus en plus de compagnies de par le monde. Il n’est pas non plus interdit d’imaginer qu’à l’avenir, le rapprochement entre les deux activités ne sera pas à sens unique. La plupart des sportifs sont eux aussi des artistes qui s’ignorent. Ils se donnent en spectacle, sont à la recherche du beau geste ou du mouvement parfait. Et ont beaucoup à apprendre de la recherche d’harmonie, de la volonté et de l’exigence absolue de perfection du danseur !
Danse et rugby, même combat ?
D’autres compagnies ont trouvé l’inspiration auprès… des rugbymen. « Depuis 2011, nous nous sommes rapprochés du club de rugby Le Biarritz Olympique », confie Georges Tran, secrétaire général du Malandain Ballet Biarritz. « Nous avons monté avec eux un dispositif de prévention des blessures et grâce à leurs outils, nous avons effectué un premier bilan de la santé de nos danseurs. Il s’est avéré qu’ils manquaient de souffle et de capacités de récupération ». Il est fréquent, en effet, que les bilans cardio des danseurs affichent les résultats de personnes de 40 ans. Impensable, pour des athlètes de haut niveau ! D’où l’introduction de séances collectives de renforcement musculaire, doublées d’exercices conçus sur mesure en fonction des performances de chacun. Résultat : nettement moins de blessures et une ouverture vers certaines disciplines telles que la sophrologie, le chant, la gyrotonie ou encore le yoga. Le Ballet Biarritz n’hésite pas non plus à recommander à ses interprètes de pratiquer la cryothérapie, très en vogue chez les adeptes du ballon ovale. De façon préventive, en se trempant quelques minutes dans le bassin d’eau très froide mis à leur disposition après chaque spectacle, ou prochainement en traitement, à raison de deux minutes dans une eau à moins 180° !
C’est aussi vers les rugbymen, via l’association Santé Sport Provence, que s’est tourné le Ballet Preljocaj. « Parce qu’ils souffraient de traumatismes comparables aux nôtres », souligne Benoît Voituriez, directeur administratif et financier du Centre chorégraphique national aixois.
La barre quotidienne, à l’évidence, ne dispense pas d’un programme spécifique de renforcement. Mais aussi de périodes de repos, sur le modèle du calendrier des joueurs de rugby qui alterne préparation de saison et temps de récupération. Depuis, ceux-ci sont intégrés dans les plannings du Ballet. Complétés par une approche sportive de la nutrition, avec l’aide d’un professionnel, ces efforts ont permis de réduire sensiblement les blessures notamment dans les périodes à risque, lorsque les corps des danseurs doivent passer rapidement d’un ballet néoclassique à un autre de style plus contemporain.
Isabelle Calabre
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