« En amour il faut toujours un perdant »

On n’est pas obligé d’aimer Julio Iglesias pour apprécier pleinement ce duo surprenant créé en 2013. Dans sa chanson éponyme, le crooner espagnol continue en affirmant : « Moi, j’ai la chance de gagner souvent. » L’idée est donc proche d’un autre titre, appartenant à Pat Benatar : Love is a battlefield.

Des deux chansons, on n’entend que celle qui donne à la pièce son titre. Mais Ramalingom et Bayamack-Tam se muent en véritables lutteurs de l’amour, avec une virulence déconcertante. Quand on sait la difficulté pour des écrivains à monter sur scène dans un spectacle, la franchise et l’engagement de l’auteure forcent l’admiration. Mais Bayamack-Tam est enseignante de français en banlieue sud parisienne, ce qui peut expliquer une certaine capacité à tenir tête.

Le déroulé de son duo avec le chorégraphe reflète par ailleurs la nécessaire acclimatation. Assis sur deux chaises, le dos tourné à la salle, ils se présentent, par voix off interposée, quand chacun décrit son propre corps et sa personnalité. Mais l’exercice glisse vers l’annonce de contact professionnelle, où l’on vante ses charmes et services sexuels.


Ramalingom amorce un striptease, mais le reality-show prend le dessus sur le phantasme érotique, créant un spectacle très physique, absolument atypique  dans le cadre de ces rencontres entre danse et littérature. On songe même à Dave St. Pierre, quand les gestes concrétisent une certaine brutalité, dans la réalité du corps et l’imagination d’une douleur physique certaine.

Leur dialogue sur l’amour vire à la scène de ménage, mais conserve toute sa qualité littéraire, ce qui n’empêche en rien l’écrivaine de contre-attaquer physiquement. Elle empoche la victoire en quittant la scène, laissant le mâle dans sa solitude, planté là, sur le plateau, le buste penché vers l’avant en direction de celle qui a tiré son épingle du jeu. Gagnante ou co-perdante?

En amour il faut toujours un perdant fait partie des propositions les plus radicales, osées et immédiatement prenantes crées dans le cadre de Concordan(s)e et a continué sa tournée depuis la création en 2013, pour faire escale sur la scène du Carreau du Temple à Paris. La rencontre entre écriture littéraire et chorégraphique est ici l’une des plus réussies.

Thomas Hahn

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