L'invention d'une machine à danser
Pierre Godard et Liz Santoro créent For Claude Shannon à l'Atelier de Paris Carolyn Carlson. La tradition des procédures aléatoires dans la composition chorégraphique, s'y prolonge au jour des recherches les plus actuelles entre linguistique et informatique
La compagnie chorégraphique que co-dirigent Liz Santoro et Pierre Godard s'appelle Le principe d'incertitude. Il semble qu'elle portera particulièrement bien son nom, avec la création d'une nouvelle pièce, qui porte, elle, le titre For Claude Shannon. Ne cherchons pas : celui-ci n'a aucun lien repéré avec l'art chorégraphique, sinon celui que les deux artistes ont décidé d'expérimenter, partant de sa place dans l'histoire des sciences qui aujourd'hui nous concernent quotidiennement.
Claude Shannon, fondateur de la théorie de l'information, peut être considéré comme l'un des pionniers de l'informatique, en ses époques balbutiantes. Il est, entre autre, théoricien de l'entropie ; soit une mesure de l'incertitude pouvant affecter le contenu d'un message, incertitude d'une variable aléatoire afférente à la transmission même de ce message.
Chorégraphe au côté de Liz Santoro, Pierre Godard est membre, par ailleurs, d'une équipe de recherche qui œuvre à la rencontrer des domaines de la linguistique et de l'informatique. Les textes mêmes peuvent faire l'objet de traitements algorithmiques. Par là s'approfondit l'approche de leurs structures, et les jeux de leurs variations.
On retrouve de cela dans la conception de la pièce For Claude Shannon. Ses quatre interprètes ont d'abord assimilé un lexique très rigoureux d'atomes de mouvements, présentant des combinatoires de directions, d'actions, de niveaux, qu'ils ont fini par maîtriser parfaitement. Rien là d'extraordinaire, sinon l'apprentissage assidu d'un langage corporel fixe, tâche à laquelle les danseurs sont généralement rompus tout au long de leurs répétitions en studio.
L'exceptionnel du principe de cette pièce, réside alors dans la superposition, sur ce premier niveau de structure du mouvement, d'un second niveau, importé de structures de textes, affectées d'un facteur de variabilité. Celui-ci étant renouvelé à chacune des représentations. Par delà ces mises en jeu de principes savants, c'est une machine à danser qui s'invente, amenant chaque soir les danseurs à ré-envisager, sur le qui-vive, leur réponse corporelle à la fraîcheur d'informations reçues en temps réel.
Faudrait-il y craindre une illustration de l'asservissement des sujets aux manipulations par la science ? A l'inverse, For Claude Shannon doit faire chanter sur le plateau une danse affranchie des tics de la reproduction prédictible ; et inventer une dramaturgie de disputes dynamiques entre principes d'ordre et de désordre. L'idée n'y est surtout pas de maîtriser des modèles à force d'assimiler des automatismes, mais de toujours expérimenter des états de corps et de relations en permanente adaptation.
Gérard Mayen
22 & 23 janvier 2016 | For Claude Shannon | Première | CDC Atelier de Paris-Carolyn Carlson, Paris
29 janvier au 1er février | Relative Collider | Faits d’hiver | Théâtre de la Bastille, Paris
4 au 6 février | Relative Collider | PuSh Festival, Vancouver, CA
11 au 13 février | Relative Collider | Festival Temps d’Images | Usine C, Montréal, CA
18 au 20 février | For Claude Shannon | The Kitchen, New-York, US
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