L'avenir des Hivernales
Comme nous l’avons signalé dans nos précédents articles, le CDC Les Hivernales, dirigé par Emmanuel Serafini (depuis 2009) est menacé. En effet, le propriétaire du lieu veut le vendre au plus vite. Ce qui signifierait la fin définitive d’une histoire exemplaire pour le développement de la danse qui dure depuis 36 ans (c'est le plus ancien festival de danse de France créé en 1979 par Amélie Grand), et un CDC qui peut afficher 14 ans de bons et loyaux services. Cela fait d’ailleurs tout juste dix ans qu’il s’est installé rue Guillaume Puy. Si ce CDC était supprimé ce serait la fin d’une présence continue de la danse à Avignon.
Signalons que cet été, les Hivernales proposaient au public rien moins que sept spectacles par jour, (dont trois créations) du 10 au 20 juillet,
À l’occasion de notre séjour au Festival d’Avignon (où soit dit en passant, la danse est de plus en plus minoritaire) nous avons interrogé Emmanuel Sérafini pour faire un point sur la situation.
Danser Canal Historique : Pouvez-vous nous expliquer la situation actuelle du CDC Les Hivernales ?
Emmanuel Serafini : Nous sommes dans une situation curieuse où personne n’est mal intentionné à notre égard, mais où nos tutelles veulent sortir de cette crise sans lâcher un centime. Or, le seul moyen de sauver le lieu du Centre de Développement Chorégraphique Les Hivernales, c’est de l’acheter.
En réalité, il est à vendre depuis 2012. Le propriétaire est l’ACIA (l’Association Culturelle Israélité d’Avignon). Jusqu’à présent, nous restions dans les lieux car nous opposions à la vente la promesse des Collectivités locales de l’acheter. Malheureusement, le Chef de cabinet du Maire, a informé l’ACIA, sans même me consulter, qu’ils n’achèteraient pas.
L’ACIA a donc interprété que les Collectivités lâchaient les Hivernales. Depuis nous avons eu jusqu’à six visites de possibles acquéreurs par semaine.
DCH : Comment en est-on arrivé là ?
Emmanuel Serafini : Le premier Président de cette association, Monsieur Naoum, était Secrétaire Général du MEDEF d’Avignon. Il ne voulait pas vendre. Mais il a été remplacé par M. Jacques Attali qui était marchand de bien, avait l’intention de vendre mais attendait que les Collectivités achètent. Finalement, il a été remplacé par M. Pierre Gobert, médecin, qui a un acheteur à 1,2 millions et voit l’intérêt que ça représente. Il est indifférent à l’action territoriale, aux animations culturelles, aux programmations artistiques. Il a donc envoyé un ultimatum à mon Président en précisant qu’il voulait un engagement le 7 juillet sur un compromis de vente. Quand nous lui parlons lieu de travail, lien social sur la Ville ou outil culturel de haut niveau, il nous répond qu’il n’a pas vocation à financer la Culture à Avignon. Le 10 juillet il nous a envoyé une lettre stipulant « qu’il n’était plus temps de continuer les manœuvres dilatoires ».
DCH : Comment ont réagi les tutelles ?
Emmanuel Serafini : Le 1er juillet, nous avons reçu, finalement, une lettre de la Maire, Madame Cécile Helle (PS), nous informant qu’ils se portaient caution à hauteur de 25% de l’emprunt.
Le 7 juillet nous avons reçu, à notre grande surprise, car il ne subventionne pas le CDC, une lettre de Jean-Marc Roubaud (UMP), Président de la Communauté d’Agglomération du Grand Avignon qui se porte également caution à hauteur de 25%. Ce serait Cécile Helle qui le lui aurait demandé…
Le 10 juillet, nous avons reçu une lettre de la DRAC autorisant notre Président à signer le compromis de vente, tout en supputant de trouver dans trois mois un financement hypothétique.
Le Président du CDC, qui est notaire, a bien évidemment refusé. Car s’il signait, cela l’engage sur ses biens personnels à hauteur d’1,2 millions. Il est d’ailleurs un peu inquiétant au plan de la politique publique que l’on demande à une assocation de droit privé d’acheter ses murs pour exercer des missions publiques. En poussant le parallèle, il faudrait imaginer que le Musée du Louvre achète ses murs pour exposer La Joconde.
DCH : Y-a-t-il d’autres solutions ?
Emmanuel Serafini : Apparemment non, puisque j’ai même demandé s’il n’y aurait pas un autre lieu qu’on pourrait nous allouer et que la réponse est négative. Finalement, puisque c’est la seule solution, nous décidons de le faire. Certes, nous avons des cautions, mais à hauteur de 50% seulement. Selon leur estimation, qui prend en compte la location de 32 000 € par an que nous payons à l’ACIA, ce qui, en soi, est déjà plutot anormal, les banques seraient d’accord pour nous prêter au maximum 600 000 €. Or notre lieu coûte 1,2 millions plus 80 000 € de frais de notaire. Donc nous ne pouvons payer que la moitié.
Nous avons essayé de convaincre nos tutelles d’acheter le solde. Ils ont refusé. Si on calcule, 680 000 € réparti sur quatre tutelles (Mairie, Etat, Région, Département) représentent 170 000 € par tutelle. Ce n’est pas une somme pharamineuse. Un expert comptable indépendant à qui nous avons demandé une étude a fait le calcul que l’achat sur la totalité reviendrait à un remboursement de 112 000 € par an avec un solde de 80 000 €. Et chaque tutelle devrait donc garantir 20 000 € chacune pendant 25 ans.
Le 15 juillet, à 8h30 du matin, Jean-Marc Roubaud a convoqué dans son bureau toutes les tutelles à discuter entre elles. La Mairie n’est pas venue, la Région est restée discrète et le Département était présent mais en service commandé.
Le 21 juillet à 10h30, la DRAC a convoqué un bureau élargi aux Tutelles, mais comme personne ne peut se mettre d’accord sur le lieu de rendez-vous, il se tiendra à la Préfecture du Vaucluse. Le Drac a beau être présent et optimiste, il ne nous donne aucune assurance que l’État mette le moindre sou dans cette affaire.
Je remarque juste, sans acrimonie de ma part, qu’il n’y a jamais d’argent pour la danse, alors que l’Opéra d’Avignon vient d’obtenir un plan biennal de travaux qui vont coûter 20 millions d’euros, que les travaux de la Collection Lambert ont coûté 10 millions d’euros et que 8 millions d’euros ont été mis sur la table pour la construction de La Fabrica. Nous, ça fait 25 ans que nous voyons passer des trains de mesures nouvelles sans qu’on ait jamais pu obtenir un lieu de travail.
DCH : Quand vous êtes arrivé à la direction du CDC vous aviez encore le studio de la Manutention. Pourquoi ne l’avez-vous pas conservé ?
Emmanuel Serafini : C’est sûr qu’il aurait fallu garder le studio de la Manutention, sauf que je n’ai pas eu le choix. C’est à l’époque Anne Chiffert qui m’a ordonné de choisir. C’était soit l’un, soit l’autre. J’ai pensé qu’il était plus difficile de nous oublier dans un théâtre que dans un studio, d’autant qu’il fallait entamer des travaux de mise aux normes très importants dans le studio. Bref, j’ai dû partir. Le deal était qu’on allait pouvoir acheter un local au-dessus pour créer des bureaux permetant de réunir l’ensemble du CDC en un seul lieu.
DCH : Comment se répartit le budget du CDC aujourd’hui ?
Emmanuel Serafini : Au jour d’aujourd’hui, les tutelles ne nous donnent aucune subvention de fonctionnement. Pour programmer l’été, nous avons besoin de prendre nos subventions et de louer le théâtre aux compagnies tout en partageant la recette. C’est le seul moyen de survivre. L’an dernier, nous avons ainsi pu récolter 630 000 € de recettes, sinon, nous ne pouvons pas boucler le budget du CDC.
DCH : Vous êtes pourtant une petite équipe… avec un large rayon d’action….
Emmanuel Serafini : Nous employons 5 CDI et 3 CDD. Notre lieu est ouvert toute l’année. Nous avons fait 140 levers de rideaux et nous avons une moyenne de 10 000 spectateurs l’hiver et 6 500 l’été et un public qui nous suit. Notre activité annuelle est plébisciée par tous. Nous prêtons le théâtre aux structures publiques qui en ont besoin. Nous travaillons avec le Conservatoire du Grand Avignon, l’école des Beaux-Arts, les élèves du Bac danse qui viennent s’entraîner sur notre plateau et auxquels on explique l’histoire de la danse… Nous pouvons nous enorgueillir de 200 jours d’occupation du plateau. Et bien sûr, nous remplissons nos missions de résidences, d’animations, d’actions en direction des publics défavorisés,etc. Il ne faut pas oublier que le quartier autour de nous est en pleine déshérence, les boutiques ferment…
Si un entrepreneur privé dans le style de Laurent Ruquier ou de Jean-Marc Dumontet rachetait ce lieu, en produisant des pièces au titre aussi impérissable que « Ma sœur ne suce pas que les glaces » je doute de l’avenir de toutes ces actions artistiques locales et des animations en faveur du public…
DCH : Quelle va être la suite ?
Emmanuel Serafini : Le dernier round aura lieu le 21 juillet. Notre position est qu’il faudrait acheter immédiatement en mettant 680 000 € sur la table.
Propos recueillis par Agnès Izrine
Parallèlement aux spectacles de cet été, vous pourrez voir l'exposition photo de Déclenche ! #3 au CDC du 10 au 20 juillet (sauf le 15), réalisée par de jeunes avignonnais guidés par Thomas Bohl, photographe. Vous pourrez également acheter une photo pour soutenir le projet et lui permettre de perdurer (achat déductible des impôts à hauteur de 66%, le CDC est habilité à délivrer des reçus fiscaux). Si vous ne pouvez pas être là cet été mais que vous souhaitez acheter une photo, elles sont en ligne (cliquez ici) et vous pourrez faire votre choix à distance. Pour découvrir le dispositif en détails et en vidéo cliquez ici.
Catégories:
Add new comment