« White Spirit » au Quai Branly
« Musée du Quai Branly - là où dialoguent les cultures » : l’autodéfinition de cette vitrine de l’humanité sonne particulièrement juste face à White Spirit, terrain de rencontre entre la transe soufie et le street art.
Trois derviches tourneurs, un chanteur principal, quatre choristes et deux musiciens, tous appartenant à des confréries soufies prestigieuses implantées à Damas, font ici état d’un esprit d’ouverture à haute valeur symbolique, quand ils s’engagent dans une création commune avec Shoof, street artist tunisien.
Photos : musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci
La danse de Rûmî
Les chanteurs et musiciens de la confrérie viennent d’un pays en guerre, meurtri et en proie aux pires vertiges, mais savent se placer au-dessus des vicissitudes militaires et politiques. Leur centre est la Mosquée des Omeyyades à Damas. Le nom de la confrérie Mawlawiyya à laquelle appartiennent les trois danseurs se réfère directement à Rûmî.
Une rencontre ne tombe pas du ciel, mais elle correspond à un processus, et ce spectacle s’en fait le reflet. Le poète Rûmî a fondé la pratique de la danse giratoire au XIIIème siècle. La calligraphie arabe est bien plus ancienne encore, mais et le street art des graffeurs est une toute jeune pousse qui n’aspire pas, a priori, à la retraite spirituelle. Deux univers opposés, mais forts d’une base commune, que White Spirit entreprend de révéler.
Photos : musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci
Aussi est-il logique et naturel de voir Shoof n’occuper que le fond du plateau, ayant attendu que les danseurs quittent la scène, après plusieurs tableaux dansés. Si Shoof couvre les huit panneaux d’écriture, le plus souvent d’une densité impressionnante, ce n’est pas par le sens des mots qu’il entend révéler l’essentiel, mais par les structures graphiques qui invitent à la contemplation. En arabe, « chouf ! » signifie « regarde ! »
Le geste calligraphe
Il faut regarder le geste de Shoof, autant que ses tableaux. Ni pinceaux, ni spray. Shoof ne peint pas, il enlève la peinture à l’huile noire, pour faire apparaître le blanc, en hommage à la philosophie soufie: « Il s’agit d’enlever, de vivre dans le renoncement ! » Les bras, et avec eux tout son corps, suivent le rythme de son écriture, traversé par celui de la musique. Ni rap, ni house, mais soufie. L’ensemble Al Nabolsy joue des registres très variées, et vers la fin, de plus en plus festifs. Car après une prise de contact discrète et respectueuse, le dernier tableau scelle la fusion de la graphie des corps avec celle de l’écriture.
Photos : musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci
À esprit blanc, costumes blancs et une scénographie en parfaite symétrie. Les derviches tourneurs vrillent d’une verticalité immaculée, devant l‘extrémité gauche ou droite des musiciens, voire au centre. Chaque posture des bras ou de la tête a sa signification : « On reçoit du créateur et on distribue aux créatures. Il y a la main gauche pour symboliser la terre et le mal, la main droite pour le ciel et le bien. Comme le yin et le yang », expliquent-ils après le spectacle, lors d’une rencontre avec le public.
Immersion
À esprit blanc, lumière noire ! Elle plonge le plateau entier dans une concentration de lignes circulaires et ondulantes, faites de mosaïques bleutées. « Nous sommes partis de l’image d’un plan d’eau dans lequel on jette une pierre », commente Shoof. Cette pierre, ce sont les musiciens, les derviches (dont un en costume noir), et finalement nous, spectateurs. « Nous étions obligés de nous limiter au plateau, mais nous aurions bien aimé élargir le cercles à travers toute la salle », explique le street artist né dans la Médina de Tunis.
Photos : musée du quai Branly, photo Cyril Zannettacci
Mais l’immersion est bien là, et quand le public en émerge, il ovationne debout, non sans se questionner sur les ravages de la guerre dans un pays où la philosophie soufie occupe une place aussi importante.
Thomas Hahn
Musée du Quai Branly, jusqu’au 15 novembre
www.quaibranly.fr/fr/programmation/spectacles-et-concerts/spectacles-2015-2016/white-spirit.html
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