Un diplôme de chorégraphe ?
Un chorégraphe doit-il avoir quelque chose à dire pour l’être ou ne pas l’être ? Telle est la question soulevée par un diplôme fort contesté et contestable. Danser Canal Historique a mené l’enquête.
Cela aurait du immédiatement passer pour un faux-pas tant l'annonce de la Fabrique de la Danse est sans nuance et le titre accrocheur : depuis le 23 juillet, « être chorégraphe est un métier. Il existe désormais un diplôme de chorégraphe reconnu par l'Etat »… Et la réaction, sur les réseaux sociaux en particulier, n'a pas été en reste, témoignant d'une hostilité plus que patente ; d'anciens « élèves » de la formation dispensée par la Fabrique en refuse d'afficher cette partie de leur parcours dans leurs curriculum.Le directeur du CCN Ballet du Nord, Sylvain Groud, contacté pour connaître sa position, lui qui revendique pleinement un ancrage de sa pratique de la danse dans la société, en soupire « n'importe quoi ! Il n'y a même pas le mot danse là-dedans », soulignant que toute relation de la danse au fait social ne peut s'envisager qu'en revendiquant la dimension poétique essentielle de la danse…
Et quelques institutions ne cachent pas leur gêne comme le syndicat des chorégraphes « Nous avons pu débattre de cette question à plusieurs reprises au sein de Chorégraphes associé.e.s. Il est entendu que la Fabrique de la danse a obtenu une certification. D'autres certifications risquent d'être validées par la suite. » Ce qui est une manière élégante de rappeler que, comme pour les autres formation la notion de « chorégraphe » pose question et on remarquera dans la réponse du syndicat l'usage du verbe « risquer ».
Car la réalité ce de ce que propose la Fabrique de la danse est un peu plus subtile que leur communication, sous l'accroche assez brutale, le texte du communiqué de presse précise « La Fabrique de la Danse, incubateur artistique, qui accompagne les artistes de la danse dans leurs projets de création mais aussi dans le développement de leurs aptitudes professionnelles vient d’obtenir après des années de travail, la reconnaissance de sa formation Chorégraphe via l'inscription de son diplôme au Registre National des Compétences Professionnelles ». Il s'agit bien de la certification d'une certaine formation de chorégraphe, pas d'une définition du métier ! De fait, depuis le 19 juillet 2023, France-Compétence, l'autorité nationale de financement et de régulation de la formation professionnelle et de l'apprentissage qui pour l'Etat tient le Registre National des Compétences Professionnelles a bien enregistrée une formation dispensée par la Fabrique de la danse, laquelle entend former des chorégraphes selon des modalités qui relèvent de la seule appréciation de cette structure, sans préjuger d'autres approches. Car d'autres formations existent, comme le master exerce à Montpellier ou la formation du CNDC d'Angers dont on remarquera cependant que l'une et l'autre restent extrêmement prudentes dans l'usage du mot « chorégraphe ». Le premier parle des « artistes auteurs de leur projet et recherche en danse » et le second des « étudiant.es […] en mesure de contribuer à la vivacité et à la diversité de la danse contemporaine de demain », admirable périphrase qui dit tout de la difficulté à reconnaître que du danseur au chorégraphe, la transition est ténue quitte à laisser penser qu'elle n'existe pas, pour autant ces deux formations ont formé des « chorégraphes » en nombre suffisant pour les tenir pour légitimes.
Mais la présente revendication d'une certification comme d'une définition du chorégraphe relève d'un parti-pris que l'on peut qualifier d'idéologique de la part de la Fabrique de la danse dont retracer l'origine peut éclairer le dessein. Cette structure a été, en 2016, l'un des 22 projets lauréats de ce programme lancé par la mairie de Paris « auprès des promoteurs, investisseurs, concepteurs du monde entier » pour aménager différemment la ville et qui mariait un cabinet d'architecte, avec le fameux « geste » qui va avec, et un entrepreneur, avec l'esprit que cela suppose. La Fabrique de la danse se pensait (et l'imparfait est important) donc comme une manière de start'up du monde chorégraphique qui entendait doter des chorégraphes-opérateurs de tous les outils de la modernité à la mode moderne (et réciproquement). Si les certitudes de la Fabrique de la danse semblent ne plus être si fermement établies et qu'elle en a rabattu dans son approche très « managériale », le programme qui est affiché pour cette fameuse certification reflète bien une vision singulière de l'activité de chorégraphe « 4 blocs de compétences sont évalués et attestés par le diplôme car indispensables au métier de chorégraphe : conception – création d’une œuvre chorégraphique ; production d’une œuvre chorégraphique (budget, financement, pilotage etc.) ; direction d’équipe (recrutement et management) enfin, promotion de l’œuvre chorégraphique (communication, diffusion, transmission) »… Soit, outre l'absence de la moindre référence à la danse ni à l'art, une liste de quatre qualifications dont les trois dernières relèvent de trois « métiers » spécifiques et qui n'ont rien à voir avec la qualité de chorégraphe (Directeur de production ; maître de ballet ou DRH ; chargé de communication). On peut penser ce que l'on veut de l'œuvre et de la personne de Maguy Marin, il semble difficile de lui dénier d'une part la qualité de chorégraphe (éminente) d'autre part une compétence réduite (et revendiquée comme telle) en terme de communication.
On répondra question de génération… Mais des artistes très jeunes prennent aussi leur distance. Louis Barreau qui a suivi cette formation auprès de la Fabrique de la danse, avec quelques précautions, suggère : « je respecte le travail sérieux et la démarche de l’équipe de la Fabrique, et je pense simplement que nous avons des manières différentes de penser le métier de chorégraphe. Selon moi, la formation telle que je l’ai appréhendée — et dont les contenus ont d’ailleurs sûrement évolué depuis que je l’ai faite — donne des clefs pour la direction d’une compagnie. Aussi, l’intitulé de diplôme de chorégraphe ne me semble pas correspondre à l’expérience que j’ai eue. » pour le dire crûment, ce que propose la Fabrique de la danse, c'est de certifier le métier de Directeur de compagnie, pas celui de chorégraphe.
Effectivement, le premier doit savoir établir et lire un budget, mais doutons que Carolyn Carlson excelle en ce domaine, diriger une équipe, mais Jerome Robbins ou Roland Petit n'en furent guère des modèles, communiquer sur leur pièce, mais (voir les exemples précédents) cela ne paraît pas indispensable.
Le plus gênant dans cette affaire, c'est que la conception du chorégraphe dont témoigne la Fabrique de la danse n'a peut-être plus grand chose à voir avec les perspectives d'avenir… Paradoxe, la modernité affichée cache en réalité une dimension désuète et une vision du chorégraphe qui sent furieusement ses années 1980-1990 quand le modèle était celui de l'association dirigée par un « grand artiste » en devenir produisant une œuvre par an, d'abord soutenu au projet avant, à terme de s'installer à la tête d'un CCN… Un modèle qui sent sérieusement la naphtaline. Mais cette vision correspond bien à cette impasse dans laquelle se sont engagées les institutions et le silence de l'ACCN ou de la Délégation à la danse du ministère de la Culture est assez éloquent. Car l'évolution des tâches incombant aux directeurs des CCN s'apparentent de plus en plus à celle d'un directeur, minorant d'autant la part de création et l'absence de prise en compte du poids artistique de l'œuvre (sans parler de de sa pertinence) dans les nominations récentes à la tête des CCN (ce qui relève bien de la mission de la Délégation) témoigne bien que le critère artistique est devenu secondaire.
Mais, comme le remarque avec mesure Yvann Alexandre qui s'est largement engagé dans la formation de chorégraphes, les réactions presque viscérales et qui émanent aussi de chorégraphes jeunes, tient à un refus d'une certaine approche où la dimension bureaucratique a beaucoup de place, ce que celui qui fut reconnu chorégraphe alors qu'il n'avait pas 18 ans résume « il y a des jeunes chorégraphes qui regrettent que la compétence à remplir un dossier DRAC ait pris tant d'importance dans leur carrière ».
Sans aucun doute la Fabrique de la danse ne mesurait pas la tempête que son annonce assez maladroite allait soulever et la volée de bois vert est d'autant plus malheureuse que l'évolution récente de cette institution montre qu'elle a amendé son projet et a gommé les excès de sa vision initialement très « ultra-libérale ». Mais ces remous témoignent d'une sensibilité et d'un questionnement qui pourraient inciter les tutelles, les responsables et les deux grands silencieux dont nous avons remarqué la discrétion plus avant, à une réflexion sur la situation présente. Et cette « certification » serait alors un grand progrès.
Philippe Verrièle
Image de preview : © Emmanuelle Stäuble – Soirée des chorégraphes 2023
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