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Un dimanche à Suresnes

Khaos de Sarah Adjou, In Between d’Ingrid Estarque, Les Yeux fermés de Mickaël Le Mer : où comment le festival Suresnes Cités Danse fait éclore les talents.

Comme le rappelait en introduction Olivier Meyer, le dimanche 23 janvier marquait l’épicentre de Suresnes cités danse. Entamée avec succès le 7 janvier, la manifestation dédiée aux danses urbaines et à leurs croisements prendra en effet fin le 13 février sur le très attendu Casse-Noisette de Blanca Li. En attendant, il était question ce dimanche de découvrir à 15 heures Khaos de Sarah Adjou et In Between d’Ingrid Estarque, et à 17 heures Les Yeux fermés de Mickaël Le Mer. Une après-midi et trois spectacles parfaitement représentatifs de la diversité, des promesses et des réussites offertes depuis trente ans par Suresnes cités danse. 

Les deux premières pièces étaient données dans la petite salle Aéroplane et appartenaient à la section Cités danse connexion#3, qui met en lumière les petites formes et/ou le travail de chorégraphes émergents. Très peu vue en France mais repérée par Mourad Merzouki - qui lui a offert une résidence de création au CCN de Créteil par ailleurs co-producteur de la pièce -, Sarah Adjou présentait ainsi la première production de sa toute jeune compagnie Yasaman. Khaos, lauréat en 2019 du concours Sobanova, se veut une exploration de la nature humaine profonde au travers de la gestuelle déliée de cinq interprètes, dont la chorégraphe elle-même.

Galerie photo © Laurent Philippe

Le rideau s’ouvrait sur une scène de groupe plutôt réussie, où les corps des danseurs enchevêtrés au sol composaient et recomposaient des figures insolites. Puis, de cette image d’un syncrétisme originel, surgissaient progressivement des personnalités singulières au fil de plusieurs ensembles, trios ou duos. Ensemble ou séparément, les trois filles et les deux garçons affirmaient leurs individualités pour finir par le beau solo libérateur, sur une musique aux accents orientaux, de Sarak Adjou elle-même. Si l’on était moins convaincu par le propos central, à la gestuelle - plus contemporaine que hip hop - pas vraiment originale, en revanche la qualité des danseurs, la précision de leurs mouvements et la force émancipatrice de la séquence finale séduisaient suffisamment pour que l’on ait envie de garder un œil sur cette jeune artiste, dont la formation éclectique (Batsheva, Pepping Tom, etc.) dit la richesse des possibles. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Changement de décor à tous sens du terme, puisqu’il nécessitait un véritable entracte : In Between, de et avec Ingrid Estarque, mettait en scène une figure familière du théâtre Jean Vilar, qui s’est notamment illustrée dans (S)acres de David Drouard, et lors la soirée des 25 ans du festival. Revendiquant sa filiation avec l’univers de la Cie 14.20, spécialiste de la magie nouvelle, elle commençait par apparaître puis disparaître grâce à un jeu de lumières, ou plutôt de noir, à chaque fois vêtue d’accessoires différents pour ajouter au trouble du spectateur. Ces allers retours volontairement déroutants installaient un climat de mystère que prolongeait bientôt une transe hypnotique à la façon des derviches tourneurs. Tourbillonnant sur lui-même, le long corps à la fois délié et athlétique de la danseuse entrait en connexion, dans une sincérité touchante, avec son moi le plus intime. Là encore, quasiment pas ou peu de hip hop stricto sensu, mais un état de corps proche de ceux du krump porté par une énergie qui, si elle ne s’extériorisait pas de façon démonstrative, n’en était pas moins intense. Toute entière livrée dans ce solo authentique, Ingrid Estarque réussissait, même de façon encore imparfaite, à créer une présence et une esthétique.

Galerie photo © Laurent Philippe 

C’est dans la grande salle Jean Vilar que l’on avait ensuite rendez-vous pour la création de Mickaël Le Mer, qui clôturait cette journée. De lui, on se souvenait de Rouge vu ici même, gestuelle survoltée et BBoys de haut vol, puis de Butterfly un ton en-dessous. Les Yeux fermés, créé et co-produit pour cette 30édition, installe désormais le chorégraphe et directeur de la compagnie S’Poar en haut du podium. Sur un sujet fascinant mais difficile - le choc esthétique éprouvé devant les Outrenoirs de Pierre Soulages -, Le Mer réussit un sans-faute tant chorégraphique qu’esthétique.

Galerie photo © Laurent Philippe

Elégance des lignes, graphisme épuré du geste, puissance et finesse de la danse : une heure durant, les huit danseurs de la compagnie, tous excellents, enchaînent les déplacements et les échanges d’énergie. Au sol, debout, à deux, à quatre, en groupe ou en solo, ils multiplient les figures de style, au sens littéral du terme, et renouvellent sans cesse les tableaux qu’ils composent. Allant du noir le plus intense vers la lumière la plus profonde, ils donnent corps au mantra du peintre pour qui non seulement le noir est une couleur mais la plus pure et intense d’entre toutes. 

Galerie photo © Laurent Philippe

On admire particulièrement la maîtrise de l’espace dont fait preuve le chorégraphe, dont les cadrages quasi cinématographiques sont servis par un remarquable travail tant au plan des lumières, dues à Nicolas Tallec, que de la scénographie signée du plasticien Guillaume Cousin. Contrairement à son titre, Les Yeux fermés se regardent l’œil grand ouvert, ravi, et l’esprit en alerte, conquis par un spectacle dont la précision géométrique n’obère ni la spiritualité, ni l’émotion.

Isabelle Calabre

Vu le 23 janvier 2022 au théâtre Jean Vilar de Suresnes (92) dans le cadre du 30e festival Suresnes Cités Danse. 

 
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