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« Un cœur réduit à un point » de Marie-Jo Faggianelli

Intensité et puissance poétique signent cette reprise de la chorégraphe Marie-Jo Faggianelli au festival Bien Fait!

La reprise de Un cœur réduit à un point de Marie-Jo Faggianelli n'est pas une curiosité. Cette pièce, manière d'équivalent chorégraphique du Land Art, a choisi une modestie qui sied à son sujet. Mais ce n'est pas le meilleur des moyens de se faire remarquer que de ne pas faire de bruit. Or, cette discrétion même signe la sincérité d'une démarche passionnante.

La plus mauvaise façon d'aborder Un cœur réduit à un point de Marie-Jo Faggianelli consiste à souligner sa date de création, 1997, et partant l'âge de sa chorégraphe interprète, et pourtant même le présent auteur du présent article s'y aventure. L'accroche fonctionne trop bien pour être négligée, elle place cette reprise dans l'air du temps des artistes de la génération Jeune danse qui tiennent le plateau malgré les ans, elle fait spectaculaire, à cette nuance près qu'elle témoigne d'une facilité absolue du commentaire. Mais pas que… 

D'abord, Marie-Jo Faggianelli vient d'une lignée artistique (Lila Green, puis Hideyuki Yano et Elsa Wolliaston qui l'amènent vers Sidonie Rochon) qui ne transpire pas la fascination pour l’exploit et la virtuosité. Il est plus naturel de s'installer dans la durée quand la démonstration n'engendre aucune attraction. On objectera que la chorégraphe devint dès 1982 l’une des premières « princesses » saportiennes ; la volcanique brune en connut beaucoup. Marie-Jo Faggianelli danse ainsi dans le fameux Un Lien d'azur dans une ville Allemande (1984), l'une des premières grandes pièces de Karine Saporta. Mais pour être exigeante moralement, la collaboration avec cette chorégraphe ne requiert pas de performance physique et aurait permis une longue collaboration toutes choses égales par ailleurs… et ses pièces personnelles, à partir d'Oreiller Slave (1993) ne brillèrent pas de prouesses athlétiques singulières. On n'en dira pas de même de l'intensité et de la puissance poétique mais actons que ces qualités tiennent mieux les ans que les autres. En conséquence, la reprise de ce Un cœur réduit à un point ne fait pas événement pour les raisons ci-avant précisée dans l'accroche. Preuve qu'il convient de toujours se méfier des critiques.

Reste que cette pièce méritait absolument la reprise et la surprise vient plutôt de son absolue actualité ; et non d'une facilité liée à l’air du temps…

Revenons aux faits : entrant dans l'un des studios (So Schnell et non le May B habituellement dévolu aux spectacles diffusés à Micadanses) l'odeur de foin prend à la gorge, saturant de cette sensation de chaleur douce, épaisse et chargée. L'herbe sèche occupe un coin, débordant jusqu'à près de la moitié du plancher. L'incongruité, le parfum, la couleur, tout concourt dans cette installation –  et le terme s'entend comme pour les arts plastiques – à suspendre le temps et créer cet « u-topos » (non lieu) d'autant plus paradoxal qu'évoquant l'agreste, et donc par définition, un lieu… Voilà donc un lieu ailleurs sans lieu mais profondément situé… Et qui s'étonnerait que le spectateur en soit un peu désorienté ?

D'autant que cette herbe répandue nappe comme une eau desséchée et que, de ces profondeurs, jaillit un bras nu, comme une turgescence, un buste de femme, un doigt impératif… Une présence d'ondine dans un champ d'herbe sèche : on en perdrait son Bachelard pour moins ! Le bras évoque d'ailleurs le Cygne, celui du Lac, dans ce mouvement de frottement d'une main et l'on se prend à se souvenir de la remarque de l'auteur de L'Eau et les songes : « qui voit le cygne désire la femme nue »… Laquelle se prend à nager dans sa rivière aride, remontant un courant imaginaire et s'y semblant noyer. Ainsi d'Ophélie : « C’est qu’un souffle, tordant ta grande chevelure, / A ton esprit rêveur portait d’étranges bruits; / Que ton cœur écoutait le chant de la Nature / Dans les plaintes de l’arbre et les soupirs des nuits ; » aurait écrit Rimbaud…

Mêlant le végétal et le liquide, toute la nature s'invite dans ce studio dans un climat de nostalgie qui submerge, littéralement quoique paradoxalement, la danseuse.

Cette inscription du corps dans la nature évoque le Land Art, les silhouettes de Ana Mendieta, immergées dans la nature comme si les éléments absorbaient l'artiste en n'en laissant qu'un halo d'herbes dans la rivière, un trou dans la neige ou dans le sable de la berge. L'observateur contrariant remarquera immédiatement que l'artiste cubaine († 1985) filmait et documentait ses performances qu'elle ne produisait pas « en live ». Moins soucieuse de produire une image, la proposition de Faggianelli tire sa force poétique et sa signification d'évoquer toute la nature pour s'y confronter, s'y engloutir, dire en somme combien l'humain ne constitue qu'une excroissance de ce vivant qui l'entoure. Le message possède une telle justesse que l'on s'étonne de la discrétion de cette reprise et de cette artiste, dont la préoccupation du naturel constitue une constante – voir par exemple les feuilles dans Histoire Simple (2001), évocation de Daphné, ou les fleurs sur le plateau de Récits Dispersés (2009).

Comme une Gina Pane qui mesure la trace de la femme à l'aune de la nature, mais sans la dimension tragique de l'artiste italienne, Marie-Jo Faggianelli développe plutôt une esthétique nostalgique et douce de la nature à la fois fragile et qui pourtant absorbe l'humain. Quelque chose d'une « action restreinte » pour reprendre le concept de Mallarmé à l'opposé de ce qu'à la même époque Régine Chopinot développe avec les décors d’Andy Goldsworthy (Végétal 1995 ; La Danse du temps, 1999) en abordant des concepts proches mais dans une contradiction totale (une action restreinte avec des décors et quinze danseurs, cherchez l'erreur…)

Et cette adéquation profonde des moyens et des fins, sensible dans ce Cœur réduit à un point explique pourquoi, vingt-cinq ans après sa création, cette pièce sonne si juste, mais aussi qu'il était nécessaire d'en rappeler l'âge.

Philippe Verrièle

Vu le 21 septembre à Micadanses dans le cadre du festival Bien Fait.

 

 

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