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« Un air d’Italie, L’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution »

Organisée conjointement au Palais Garnier par la BnF et l’Opéra de Paris, une belle exposition retrace le premier siècle d’existence de la scène lyrique française, en faisant la part belle à la danse.

Retracer l’histoire d’une institution qui célèbre cette année ses 350 ans, voilà qui allait de soi. Mais choisir pour ce faire l’angle franco-italien était moins attendu, et c’est l’une des bonnes surprises de cette exposition de taille modeste, mais riche d’enseignement, à découvrir dans la rotonde du Palais Garnier.

Cent trente pièces, costumes, maquettes de décor, estampes, tableaux ou manuscrits, dont celui des Mémoires de Casanova, éclairent la tension originelle entre influences transalpines et construction d’une identité nationale, dans laquelle va naître l’opéra français. La division de l’exposition en cinq sections chronologico-thématiques retrace les étapes de cet avènement : Aux origines le ballet de cour et l’opéra italien (1600-1669) ; Les créateurs de l’opéra français (1669-1695) ; L’opéra-ballet (1695-1715) ; L’ère des controverses (1715-1781) ; A l’Aube de la Révolution (1781-1791).

Chaque espace présente un ensemble de documents qui témoignent de cette histoire croisée. Ainsi le ballet de cour à la française, art total s’il en fut, s’inspire des divertissements des cours italiennes et de leurs succédanés popularisés par les baladins séjournant en France. Ministre d’Anne d’Autriche, Mazarin fait venir à Paris en 1645 le premier opéra italien joué en France, La Finta Pazza, dont les décors et la machinerie émerveillent le public.

Dès ce moment, la place du ballet devient l’une des lignes de démarcation dans la rivalité artistique qui oppose les deux nations : simple divertissement comique dans les « opéras à machine » à l’italienne, il tient en revanche un rôle essentiel à Versailles où s’illustre bientôt le jeune Louis XIV, notamment dans le célèbre Ballet de la nuit en 1653. La création par Cavalli en 1662 d’Ercole amante, auquel Lully insère de longs passages dansés, réalise une fusion entre le spectaculaire de l’opéra italien et la forte présence du ballet, cher au goût de la noblesse de cour : ce sera la marque de fabrique de l’opéra français.

Dès lors, il s’agit d’affirmer haut et fort cette singularité hexagonale. D’où le privilège exclusif des représentations d’opéra accordé en 1669 par Louis XIV au poète Pierre Perrin, librettiste de La Pastorale d’Issy, « la première comédie française en musique ». Rappelons toutefois que huit ans plus tôt, en 1661, le jeune monarque a déjà fondé une académie de danse chargée de codifier les pas de la Belle danse. Et remarquons que la date de naissance de son académie de musique coïncide avec le moment où il renonce à se produire sur scène en tant que danseur…

Premier maître de ballet de cette nouvelle institution, Pierre Beauchamp fait partie de la dream team qui, aux côtés du librettiste Quinault, du scénographe Vigarani et du compositeur Lully - ce dernier ayant racheté à Perrin son privilège - invente en 1673 avec Cadmus et Hermione la « tragédie en musique », où la danse est insérée à l’action dramatique (le même Beauchamp, décidément fécond, est aussi le co-inventeur, aux côtés de Molière et Lully, de la comédie ballet avec Le Bourgeois gentilhomme).

L’Opéra s’installe dans la salle du Palais Royal et un ballet composé de professionnels, parmi lesquels le célèbre Claude Ballon que l’on voit représenté sur une estampe, se constitue progressivement. La troupe est d’abord exclusivement masculine, certains hommes dansant des rôles de travestis, jusqu’à la première apparition sur scène de véritables « danseuses » lors de la reprise en 1681 du Triomphe de l’amour de Lully (en dehors bien entendu des dames de la noblesse se produisant dans les spectacles de la Cour).

A partir de la fin des années 1680, éclot un genre inédit et spécifiquement français où la danse tient une place prééminente : l’opéra-ballet. Dans cet enchaînement de tableaux aux intrigues autonomes, à peine reliés entre eux, le merveilleux et parfois le comique règnent en maître. Les personnages de la comedia dell’arte y font un retour en force même si cette Italie-là, y compris quant aux danses censées l’incarner comme la forlane, relève généralement d’un exotisme de pacotille.

Toutefois, derrière cette réconciliation apparente, un autre conflit se prépare. Il oppose entre 1680 et 1690 l’Académie royale de musique, qui détient le monopole des spectacles chantés en français et perpétue le « genre noble » à la française, et sa parodie bouffonne imaginée avec succès par les Comédiens Italiens installés à l’Hôtel de Bourgogne. La création de l’Opéra Comique en 1715 contribuera à installer le genre, dont l’incarnation la plus réussie est en 1749 le Platée chanté et dansé de Rameau.

La section richement illustrée intitulée L’Ere des controverses (1715-1781) expose les conflits qui agitent la scène lyrique et chorégraphique. L’irruption en 1739 sur la scène de l’Opéra (alors installée au Palais Royal) de Barbara Campanini dite la Barbarina, avec son entrechat huit bien éloigné du « dédain de la prouesse » inscrit dans les canons français, suscite l’admiration mais aussi la controverse. Et la fameuse querelle des Bouffons, déclenchée par la représentation en 1752 à l’Opéra de Paris de La Serva Padrona de Pergolèse interprétée par une troupe de chanteurs italiens, fustige la virtuosité facile des Italiens non seulement dans l’art des vocalises mais aussi dans celui de la danse.

Venu à Paris en 1774, l’Allemand Gluck tentera de revitaliser la tragédie lyrique française contre les tenants de l’opera seria, tout en gardant à la danse un rôle significatif. Florentin de naissance, Gaëtan Vestris élève de Dupré et représentant de la danse noble à la française, est nommé maître de ballet de l’Opéra, où il crée plusieurs opéras-ballets inspirés des principes novateurs de Jean-Georges Noverre.

Ce dernier, qui lui succède en 1776, est passé par la troupe de l’Opéra Comique et prône l’expressivité du geste : finis les masques, les perruques, les accessoires artificiels qui déforment les corps et figent les visages. Place à l’usage théâtral de la pantomime et à une nouvelle conception du costume, illustrée par quelques planches du dessinateur Boquet, mieux aptes à traduire les émotions dramatiques suggérées par l’intrigue. Le souffle nouveau initié par l’auteur des Lettres sur la danse sera freiné par l’opposition des danseurs mais il irriguera tout le 19e siècle.

La suite sera à découvrir à partir du 24 octobre, où une deuxième exposition intitulée Le Grand Opéra, le spectacle de l’Histoire est programmée dans ce même lieu.
Rendez-vous donc à l’automne prochain !

Isabelle Calabre

Vu au Palais Garnier le 27 mai 2019. Jusqu’au 1er septembre 2019.

Un très instructif catalogue, Un Air d’Italie. L’Opéra de Paris de Louis XIV à la Révolution coédité par BnF Editions et la RMN et publié sous la direction de Mickaël Bouffard, Christian Schirm et Jean-Michel Vinciguerra, est en vente au prix de 39 €.

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