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Trisha Brown

Dans le cadre de la programmation à la Maison de la Danse de Lyon d’Histoire(s) de la danse dont le premier volet est consacré à Trisha Brown, Danser Canal Historique vous dit tout sur cette figure incontournable du post-modernisme américain.

Trisha Brown (1936-2017) s'est imposée, au cours de la seconde moitié du xxe siècle, comme une danseuse et chorégraphe des plus inventives ayant fait évoluer la danse moderne américaine ou modern dance. Partant du rejet de la gestuelle de l'époque, elle élabore un langage qui correspond à une aisance du corps dans un mouvement fluide, « silky », dit-elle, qui, au fil de son questionnement renouvelé, fait appel à une haute et complexe technicité. Parallèlement, la chorégraphe joue de tous les paramètres du spectacle dont elle explore les limites en compagnie de ses contemporains plasticiens et compositeurs. Dans son ultime étape, elle aborde des musiques et des opéras classiques où la théâtralité s'intègre à son style abstrait et reconnaissable entre tous.

Née le 25 novembre 1936 à Aberdeen, dans l'État de Washington, Trisha Brown est passionnée de sport et en particulier d'athlétisme, elle est une « rubber girl » une fille en caoutchouc. Suivant l'exemple de son frère aîné, elle se lance sur cette voie dès l'âge de dix ans. Un peu plus tard, elle se sent attirée par la danse, mais sans fixer son choix sur une discipline particulière. Elle pratique tout autant le classique et les claquettes, le jazz et l'acrobatie. Au Mills College, Californie, elle découvre la technique mise au point par Martha Graham. Louis Horst, pianiste accompagnateur à la prestigieuse école Denishawn, assistant de Graham, y devient son professeur de composition. Durant les étés de 1955 et de 1959, Trisha Brown le retrouve à l'occasion des stages organisés au Connecticut College. C'est là qu'elle aborde les enseignements de José Limon et de Merce Cunningham. L'année 1959 marque une étape importante dans son évolution.

En Californie, auprès d'Anna Halprin elle s'initie à l'improvisation et à des travaux sur le son, le chant, l'expression verbale. Elle prend alors conscience de l'importance du geste quotidien, de la valeur qu'il peut revêtir comme mouvement dans une composition chorégraphique. Elle croise là d'autres jeunes femmes à l'esprit tout aussi aventureux : Simone Forti, Yvonne Rainer.

Le bouillonnement new-yorkais

Simone Forti conseille à Trisha Brown de s'installer à New York. Dans le studio de Merce Cunningham, passage obligé pour tous les danseurs de sa génération, elle profite des leçons de Robert Dunn et se familiarise avec les notions d'aléatoire et d'imprévu chères à Merce Cunningham. Ce génie de la chorégraphie a opéré une révolution copernicienne dans la danse moderne en reprenant la théorie d’Einstein : Il n’y a pas de point fixe dans l’espace, il déstructure la vision frontale de la danse. Du coup, il appartient à chacun de choisir ce qu’il regarde, et anéantit définitivement l’idée de soliste et d’ensemble. Les événements présentés sur le plateau sont simultanés, sans hiérarchie particulière, chaque danseur est un centre tout comme chacun est un individu. Ces principes sont renforcés par le fait que les mouvements qu’il développe incluent des gestes en apparence “ naturels ”, le rythme étant impulsé par une gestuelle faite de successions de temps forts et faibles, d’élans, d’équilibres brisés. Il réfute également l’idée d’un livret, ou d’une musique associée à la danse, affirmant que « la danse se suffit à elle-même ». C’est une première manière de « démocratiser » la danse, en l’extrayant définitivement de ses racines monarchiques ou autocratiques avec ses représentations d’une étoile (un chef) entourée d’un Corps de ballet (la piétaille).

En 1962 se constitue le groupe du Judson Church Dance Theater, matrice de la postmodern dance. Trisha Brown en fera partie. Leurs chorégraphies utilisent des mouvements ordinaires (la marche, la course, le saut) et des gestes quotidiens dévoyés par leur répétition ou par extraction de leur contexte ordinaire. Leur postulat sous-jacent ruine la distinction entre danseurs et non-danseurs ou“ corps piéton ” selon leur expression, et affirme que tout peut être danse.

Sur un plan plus conceptuel, le fonctionnement communautaire et non hiérarchique de ce groupe, que ce soit au niveau interne (entre chorégraphe et interprète) ou au niveau externe (entre danseurs et public) accentue une démocratisation chorégraphique. Cette danse, qualifiée de post-moderne, implique alors d’affronter véritablement un public qui participe de la représentation. L’idéologie contestataire des années 60 sous-tend le mouvement. Les chorégraphes post-modernes ont une vision politique et remettent en question l’image de l’Amérique triomphante. Il faut dire qu’ils arrivent juste après l’épisode McCarthyste et à l’orée de la guerre du Vietnam. Ils introduisent donc dans leurs chorégraphies des idéaux démocratiques sur fond de question socio-politiques comme la place des minorités ou la réaction à la société de consommation.

Une œuvre très singulière

Trisha Brown attire l'attention par l'originalité de ses œuvres. Délaissant les théâtres traditionnels, elle replace la danse dans des espaces inattendus, investit la rue et les toits. Elle privilégie ainsi de nouvelles perspectives, d'autres angles d'approche au tout début des années 70. À l'aide de harnachements spéciaux, fixés à un plafond, elle fait progresser le danseur perpendiculairement aux murs dans Man Walking down Side of Building. De même ; dans Floor of the Forest, une structure tubulaire soutient un réseau de cordes et de vêtements noués, à hauteur du regard, au centre d'une pièce. Deux danseurs s'y déplacent, s'habillent et se déshabillent, en essayant de garder leur équilibre. Roof Piece se développe sur les toits de New York. Ainsi, elle se lancera dans des recherches sur la verticalité en s’accrochant aux parois des immeubles, elle travaillera sur la chute gravitationnelle qui ouvre de nouvelles perceptions pondérales avant de se jeter dans de nouveaux défis tels que le rapport aux partitions musicales classiques ou la transposition des éléments linguistiques dans la danse.

Sa gestuelle qui oscille d’une fluidité séduisante et sensuelle à la mise en espace de formes massives et quasi-immobiles lui permet d’affiner à chaque œuvre produite la perception du mouvement dansé. Ce qui la caractérise est peut-être une dynamique qui ne ressemble à rien de connu. Ses danseurs semblent être des électrons libres dans un espace miroitant et instable, d’aériens virtuoses de l’instant capturés en plein vol.

L'entrée dans les théâtres

En 1973, à l'invitation du festival d'Automne Trisha Brown se produit au musée Galliera, devant un public de curieux qui découvre ses Accumulations. Ces pièces expérimentales exploitent la répétition de mouvements suivant un principe de séries modulées qui met en branle le corps entier et engendre un flux continu. Trisha Brown revient trois ans plus tard en France où elle présente Line up, puis en 1979 Glacial Decoy, à la gestuelle rapide, fringante, qui propulse les danseuses, à grande vitesse, d'un point à un autre de l'espace. Pour cette pièce, elle intègre l'espace scénique traditionnel en collaboration avec le plasticien Robert Rauschenberg qui a conçu un décor mouvant de diapositives projetées.

On peut distinguer plusieurs périodes du « mouvement brownien ». Les « equipments pieces » (1968-1971 ) où elle explore la gravité dans un environnement urbain arpentant les toits et les parois des buildings. Les « Accumulations » ((1975-1978) où elle développe des improvisations consistant à accumuler des mouvements et les mémoriser, comme dans son exceptionnel solo Watermotor (1978). Mais à partir de Glacial Decoy (1979), à la gestuelle rapide, fringante, qui propulse les danseuses, à grande vitesse, d'un point à un autre de l'espace, elle intègre définitivement l’espace scénique traditionnel. Set and Reset (1983), pièce culte,créée lors du festival Montpellier Danse annonce les « structures à instabilité moléculaires » avec ses longues phrases fluides à géométrie variable, pulvérisant les lignes pour créer une sorte d’utopie poétique où la fluctuance domine. Dans le cycle suivant, dit « Vaillant » elle pousse ses danseurs jusqu’à leurs limites physiques et atlhétiques, comme dans Newark. Une autre Trisha Brown se dessine alors. Son travail devient accessible à un plus large public, une jubilation communicative l'imprègne confèrant à la danse un caractère irréel, lointain, onirique qui annonce  le « Retour à zéro » (1990-1994) dont l’une des pièces majeures est certainement Foray Forêt, dernière pièce créée avec Rauschenberg et ses costumes miroitants et dorés.

Mais, la carrière de Trisha Brown trouve de meilleurs débouchés en France qu'outre-Atlantique. notamment au festival d'Automne, dirigé par Michel Guy auquel elle dédiera une pièce (For M.G. The Movie) et surtout celui de Montpellier Danse en la personne de Jean-Paul Montanari qui produira nombre de ses créations et la soutiendra tout au long de sa carrière.

Galerie photo : Set & Reset et Newark © Laurent Philippe

En 1992, Trisha Brown fait une création pour Montpellier Danse, One Story as in Falling, où ses danseurs partagent l'espace scénique avec ceux de Dominique Bagouet, directeur du Centre chorégraphique national de Montpellier. C'est la première fois que l'artiste américaine travaille avec d'autres danseurs que ceux de sa compagnie.

Galerie photo : Astral Convertible © Laurent Philippe

En 1994, Trisha Brown lance un nouveau pari : danser uniquement de dos dans If You Couldn't See Me. La chorégraphe tisse là une architecture arachnéenne, aboutissant à une épure qui apparaît comme une véritable profession de foi louant la primauté du mouvement.

Nouveaux champs

Trisha Brown ouvre un nouveau champ à sa création. « Je me suis rendu compte qu'il m'était possible d'approcher la musique conventionnelle sans y laisser ma chemise », déclare-t-elle. Dès 1995, le magnifique M.O., sur un extrait de l'Offrande musicale de J. S. Bach, renouvelle des formes repérables de l'académisme par la gestuelle propre à ses danseurs.

Trois ans plus tard, elle crée l'Orfeo de Monteverdi, fondé sur la symbiose réussie de la musique, du texte et du mouvement. Da Gelo a Gelo, du même compositeur s’inscrit au répertoire de l'Opéra de Paris en 2007, après Glacial Decoy en 2003, et O Złożony /O Composite, pièce créée pour trois étoiles de l'Opéra. Entre-temps, Present Tense, à la biennale internationale de Cannes, revient au piano préparé de Cage pour une aventure aérienne des danseurs où éclate décidément le constat que la danse abstraite de Trisha n'est pas dénuée d'émotion mais apparaît comme une structure malléable qui prend forme sous nos yeux. Ressemblant parfois à des revirements d’oiseaux en plein vol, mais aussi à une chorégraphie mue par un principe d’incertitude,elle  laisse finalement apparaître, dans ces fausses transitions, un invisible de la danse, qui en est pourtant toute l’essence.

Adepte du dessin, Trisha Brown est aussi plasticienne. Dans It’s a draw (2002),créé pour le festival Montpellier Danse, elle mêle ses œuvres plastiques et picturales à une performance au cours de laquelle le mouvement produit une trace graphique. Ses dessins et dispositifs ont été montrés dans plusieurs musées et manifestations : Documenta 12 à Kassel en 2007, Walker Art Center à Minneapolis en 2008, Biennale de Venise en 2009. Le Mac de Lyon lui consacre une exposition en 2010.

Galerie photo : It's a Draw © Laurent Philippe

La même année, Trisha Brown monte son dernier opéra, Pygmalion de Jean-Philippe Rameau, avec Les Arts Florissants dirigés par William Christie. Cette œuvre reprend des séquences dansées de L’Amour au théâtre (créé en 2009) et donnera lieu à une déclinaison dansée intitulée Les Yeux et l’âme (2011). Enfin, I’m going to toss my arms : if you catch them they’re yours (2011), dont le titre est tiré d’une consigne lancée en répétition, sera sa dernière pièce. En effet, elle décide de se retirer de la vie professionnelle pour des raisons de santé. Elle confie alors sa compagnie à Diane Madden et Carolyn Lucas, anciennes danseuses qui ont été promues directrices artistiques adjointes. Celles-ci ont organisé la tournée internationale d’adieu de la chorégraphe (2013-2015).

Galerie photo : I’m going to toss my arms : if you catch them they’re yours et Foray Foret © Laurent Philippe

Chocs, chutes, mouvements à angles droit et pourtant d’une souplesse infinie, portés aussi aériens que surprenants, donnent à l’ensemble l’aspect d’une architecture abstraite et joyeuse. Rien n’est inutile, tout est passionnant. La danse semble surgir du néant, laissant jaillir toutes les couleurs d’une palette émotionnelle due à l’imprévisibilité du mouvement suivant. C’est aussi beau et énigmatique qu’une des œuvres plastiques de cette grande dame de la danse qu’est et restera Trisha Brown.

Agnès Izrine

Au programme  de la Maison de la Danse de Lyon: 

 Ven 24 nov.

→ 17h30 à Sciences Po Lyon : Conférence sur Trisha Brown

→ 19h00 au Plateau ouvert : À vos marques ! Atelier de danse

au Studio : Restitutions d’ateliers chorégraphiques

→ 20h30 en Grande salle : Trisha Brown Dance Company : Working Title + For M.G.: The Movie + In the Fall + création Noé Soulier

→ Après la représentation en Grande salle : Bord de scène

 

Sam 25 nov.

→ 18h00 au CinéMAD : Projections vidéo

→ 19h00 au Studio : Restitutions d’ateliers chorégraphiques

→ 20h30 en Grande salle : Trisha Brown Dance Company

 

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