« Trio Amala-Junior-Sly » à Suresnes
Le suspense était grand : Comment une Mathilda May, certes passée par la danse classique en tant que jeune interprète, mais devenue actrice et chanteuse, dramaturge et metteur en scène, allait-elle aborder, dans sa toute première chorégraphie, l’expression de deux danseurs venant du hip-hop, complétée par l’art vocal du beat-boxer Sly Johnson ?
La constellation la plus imprévisible a aussi apporté la plus grande surprise du festival. Le regard de May sur les facultés acrobatiques d’Amala Dianor et BBoy Junior transforme les deux en véritables comédiens corporels, capables d’endosser des identités animales ou allégoriques. Et Sly de créer, de sa seule bouche, des paysages sonores évoquant des forêts entières, des vents glaciaux, des pluies voire des orages violents...
Etonnamment, ce trio d’art chorégraphique et sonore est resté sans titre véritable, alors qu’il transpose la danse break de BBoy Junior et celle, plutôt verticale, de Dianor, vers un art figuratif et narratif de haute intensité. L’histoire qui s’y trame pourrait être celle de la création du monde jusqu’à son état actuel, comme Mathilda May l’évoque dans son interview pour Danser Canal Historique (lien).
Un nouveau regard
Ce scénario, souvent exploité par les chorégraphes hip-hop dans les débuts de son évolution artistique, pourrait n’être qu’un lieu commun dans une longue série traversant l’histoire de la danse urbaine. Mais il prend ici une ampleur nouvelle, une fraîcheur singulière, portée par la maturité et l’inventivité des deux danseurs et du musicien-bruiteur.
Vidéo réalisée par Eric Legay pour Canal Danser Historique
Tout part d’un d’une figure embryonnaire à caractère fusionnel, et y retourne à la fin. Entre les deux pierres angulaires en forme de boule yin et yang, on traverse quelques étapes de l’ontogénèse autant que de l’histoire de l’humanité. On se surprend à avoir froid pour eux quand ils affrontent une tempête de neige imaginaire, ou bien on transpire à leur place, quand le labeur s’effectue sous un soleil ardent. Sly se révèle alors être également un chanteur appréciable, dans une évocation de negro spirituals où il peut s’agir d’une évocation de l’esclavage … suivie de tempêtes d’acier et tableaux d’urbanisation galopante.
Nouvelles liaisons
On suit un véritable thriller, où le suspense ne s’apaise que rarement. L’alchimie entre les talents des quatre artistes (sans oublier les éclairages de Laurent Béal) permet à chacun d’exister pleinement, de se renouveler et de gagner à la fois en clarté et en liberté. A titre d’exemple, Junior se révèle être un contorsionniste véritable. En parallèle au sol, perché sur ses deux mains, il revisite la figure de base du « scorpion » pour évoquer poissons ou batraciens.
Cet alligator à deux pattes trouve moult répondant à travers une ménagerie intrigante. Les techniques du hip-hop n’y sont pas une fin en soi, mais un langage dramatique et narratif, comparable dans sa force évocatrice aux traditions asiatiques telles que le Kathakali ou le Topeng. Ce sont des arts où l’univers musical est aussi soigné que la danse, et si le trio en question invente une relation toute aussi vivante entre le mouvement et le son, les expériences collectées par May sur les scènes de la chanson n’y sont sans doute pas pour rien.
Une nouvelle étape?
Après tant de collaborations entre danseurs hip-hop et chorégraphes contemporains ou autres, initiés par Olivier Meyer pour Suresnes Cités Danse, ce trio transdisciplinaire occupe une position à part. A toutes les expériences faites entre hip-hop et autres mondes de la danse, le regard de Mathilda May sur les danseurs ajoute une dimension plastique du corps hip-hop jusque-là inconnue, et même un nouveau regard sur la relation entre le corps et l’environnement sonore.
Trio Amala-Junior-Sly - Mathilda May © Dan Aucante
C’était peut-être un coup de chance, mais pourrait aussi ouvrir une nouvelle série de collaborations surprise, sinon carrément une nouvelle ère de Suresnes Cités Danse. Est-il encore possible, après vingt-quatre éditions, de trouver de nouveaux espaces artistiques, au-delà du concept de hip hop, et puis peut-être aussi en transgressant les limites entre danse et théâtre, comme seule une Laura Scozzi a jusqu’ici pu le proposer à Suresnes ?
Thomas Hahn
Prochaines représentations au festival Suresnes Cités Danse :
mardi 2 février à 21:00 ; samedi 6 février à 18:30 ; dimanche 7 février à 15:00 ; dimanche 7 février à 21:00 ; lundi 8 février à 21:00
Une navette est mise à votre disposition (dans la limite des places disponibles) pour vous rendre aux représentations. Départ 45 mn précises avant l’heure de la représentation (ex. : départ à 20 h15 pour 21h), entre la rue de Tilsitt et la place Charles de Gaulle-Étoile, du côté des numéros pairs à proximité de l'arrêt du bus 341. Au retour uniquement, et sur demande, la navette dessert à la demande les arrêts à Suresnes : boulevard de Lattre de Tassigny (arrêt Bons Raisins), place Marcel-Legras, Suresnes-Longchamp et place Henri IV.
www.suresnes-cites-danse.com
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