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Thierry Malandain à l’Académie

Entre son élection le 24 avril 2019 et son installation le mercredi 6 avril dernier, il aura donc fallu à Thierry Malandain patienter trois ans, pandémie oblige, avant d’être solennellement reçu par ses pairs au sein de la prestigieuse Académie des Beaux-Arts.

Sa réception sous la Coupole au fauteuil n° 1 de la toute nouvelle section de chorégraphie, aura été à son image : élégante, émouvante et pleine de sens. C’est à l’académicien, secrétaire perpétuel et surtout musicien Laurent Petitgirard que le chorégraphe avait confié le soin de l’accueillir. Choix des plus logiques lorsqu’on connaît le lien intime qu’entretient le directeur du Malandain Ballet Biarritz avec la musique. Le chef d’orchestre et compositeur allait d’ailleurs faire de cette affinité élective le fil conducteur de son discours. Passant de L’Oiseau de feu à Roméo et Juliette de La Pastorale à Magifique et ce faisant, de Stravinski à Berlioz, Beethoven ou Tchaïkovski, il évoquait quelques-unes des étapes de la carrière du nouvel habit vert en illustrant ses propres souvenirs de spectateur d’extraits vidéos des ballets cités. Il n’omettait pas, au passage, de rappeler les années d’initiation de l’impétrant, d’abord comme jeune danseur puis en tant que lauréat de plusieurs concours de chorégraphie, jusqu’à la création en 1986 de sa compagnie Temps Présent, à Elancourt. 

Le contraste entre cette cérémonie emplie « d’affection et d’admiration », et la « guerre tragique déclenchée par la volonté d’un seul homme » aux frontières de l’Europe, donnait aussi à l’orateur l’occasion d’ étriller les « consternantes déprogrammations de chefs d’œuvre de la culture russe » actuellement à l’œuvre ici et là. Revenant au héros du jour, il ne manquait pas de saluer la fidélité de Thierry Malandain à ses compagnons de la première heure, et plus généralement à toutes celles et ceux, artistes, techniciens ou administratifs, qui concourent à la réussite et la solidité de ce qui allait devenir en 1998 le Ballet Biarritz, puis douze ans plus tard le Malandain Ballet Biarritz. 

A propos du style de Thierry Malandain, commentant l’étiquette ‘néoclassique’ qui lui fut attribuée par opposition aux encensés ‘contemporains’, Laurent Petitgirard osait la comparaison avec celle de « néotonal » que « l’avant-garde » boulezienne réserva, pour mieux les accabler de son mépris et jusque récemment encore, aux  tenants d’une musique « harmonique, thématique et rythmique » - dont Benjamin Britten, l’un des compositeurs favoris de Malandain, fut l’une des victimes expiatoires… Enfin, il soulignait combien l’activité d’historien de la danse de Thierry Malandain, que l’on peut notamment apprécier dans les colonnes du bimestriel édité par le Ballet, constituait un précieux enrichissement des connaissances  sur le ballet classique et comblait fort heureusement « un certain manque de culture dans le monde de la danse »… Puisqu’ « être académicien constitue avant tout un engagement à servir », il s’agira, sous la Coupole, de continuer à œuvrer à la promotion de la danse sous toutes ses formes, ce que depuis son élection il y a trois ans a déjà commencé à faire avec passion et compétence Thierry Malandain.

Ce dernier répondait en soulignant, au-delà de sa personne, l’honneur rendu à Terpsichore puisqu’il devenait ainsi le premier membre de la toute nouvelle section de Chorégraphie de l’Académie. Mais aussitôt, l’érudit qu’il est retraçait l’histoire de la véritable première Académie de danse créée en 1661  par Louis XIV, puis son déclin, faisant surgir au fil de son récit passionnant les figures de Feuillet et de Pierre Beauchamp, en rétablissant à ce propos la propriété intellectuelle du second sur le sytème de notation de la danse généralement attribué au premier. Son exposé brillant brassait les époques jusqu’à l’avènement de Serge Lifar, qui put « rétablir la Danse à  l’Opéra de Paris dans son complet épanouissement » y compris en tentant vainement, en 1955, de créer une académie de chorégraphes composée de treize membres.

C’est ce même chiffre treize, en référence également aux treize académismes initialement nommés par Louis XIV lors de la création de l’Académie, que l’on retrouvait - expliquait-il - sur la garde de son bâton d’académicien. Sur cette épée qu’il a voulu semblable au bâton dont se servaient jadis les maîtres à danser d’autan, et qu’il a fait fabriquer par les artisans joailliers biarrots de Origine Ateliers, à partir du bois noueux utilisé pour les Malika (bâton de marche basque), Thierry Malandain a en effet fait graver treize noms de chorégraphes, certains connus, d’autres oubliés : Jean-Baptiste Blanche, Louis Henry, François Albert de sombre, Jules Perrot, Henri Justamant, Marius Petitpa, Hyppolite Montplaisir, Mariquita, Laure Fonta, Louise Stichel, Serge Lifar, Janine Charrat et Joseph Lazzini. Elle lui fut solennellement remise à l’issue de son discours par Catherine Pégard, présidente du conseil d’administration du Malandain Ballet Biarritz. Quant au bel habit vert dont était vêtu le nouvel académicien, il avait été réalisé à partir de celui de Jean Carzou, qui fut peintre et décorateur de ballets, dont Le Loup de Roland Petit, une recréation confiée à l’Atelier Renaissance, association aux engagements créatifs mais aussi environnementaux et sociaux. 

Goût du bel ouvrage, soin minutieux apporté à toutes choses, respect des savoir faire, attachement à la terre basque où il s’est implanté et d’où il rayonne dans le monde entier, défense de la solidarité et de l’environnement : autant de valeurs fortes défendues et incarnées de longue date par Thierry Malandain, et illustrées dans cette cérémonie aussi belle que sobre. Elle était ponctuée de deux interventions dansées : la Gavotte de Vestris remontée par Claude Iruretagoyena de la compagnie basque Maritzuli, interprétée par Jon Olascuaga (danse) et Xabi Etcheverry (violon) ; et  l’Aurresku, danse traditionnelle basque, par Arthur Barat accompagné au tambourin et txistu par Sébastien Paulini. Rappelons, pour conclure, que la section de chorégraphie comprend également Blanca Li, Angelin Preljocaj et Carolyn Carlson, qu’elle compte deux correspondants, Didier Deschamps et Dominique Frétard, et un membre associé étranger en la personne de l’immense Jiri Kylian.

Isabelle Calabre

Séance d’installation du 6 avril 2022 à l’Académie des beaux-arts à Paris.

 

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